Le week-end dernier, j’ai (enfin!) vu Dancing in Jaffa de Hilla Medalia.
Le pitch: c’est l’histoire (vraie) d’un homme, Pierre Dulaine né à Jaffa en 1944. Après une carrière internationale de danse de salon accomplie à l’étranger, Pierre retourne à Jaffa pour réaliser son rêve : faire danser ensemble des enfants juifs et palestiniens pour rapprocher les communautés.
Le film contient peu de dialogue. Le contexte se suffit à lui-même. Danser avec un petit garçon ou petite fille d’une autre école signifie ici danser avec l’ennemi. La mission que s’est imposée Pierre Dulaine est délicate. Il doit convaincre et lutter contre les réticences des parents. Il doit aussi s’accrocher face aux réactions de ces enfants qui n’ont pas l’habitude de danser en couple et encore moins avec leur “voisin d’en face”. Le film est subtil. Il montre une réalité complexe. Les personnages (et leurs trajectoires) y tiennent la vedette. La danse est l’occasion de confronter deux êtres mais aussi deux univers culturels. Dulaine intègre dans son projet des enfants d’écoles de Jaffa: deux écoles juives, deux écoles arabo-palestiniennes et une école mixte avec des enfants juifs et palestiniens.
Jaffa est MA ville d’adoption en Israël. Elle était suffisamment proche de Rishon Letzion – ville de ma famille en Israël – pour que je puisse m’y aventurer seule. A la place d’aller à la plage avec mes cousines, je prenais le car depuis Rishon. Direction, “shouk hapishpoushim” (marché aux puces). J’y passais des heures. C’était la fin des années 80′, il y a plus ou moins vingt ans. Cette ville me fascinait. Il y régnait une atmosphère très particulière fort différente des villes nouvelles que je connaissais (Rishon Letsion, Batyam, Ashdod, Rehovot). On y entendait des muezzins, le port était très animé et on pouvait y déguster de délicieuses grillades de poissons fraîchement récoltés par les nombreux pêcheurs arabes. Jaffa était alors une ville arabe désertée par ceux parmi les juifs qui avaient les moyens de s’installer dans des villes plus “nouvelles” et mieux entretenues. Pour moi c’était attirant et dépaysant à la fois. Cette ville m’a certainement aidée à déconstruire ce qu’on m’avait appris depuis ma tendre enfance, cette fausse idée du sionisme résumée dans la maxime suivante: “un peuple sans terre pour une terre sans peuple“. Sans me le formuler aussi clairement à l’époque, je pris conscience qu’il y avait bien un autre peuple en Palestine. Jaffa en offrait un témoignage vivant et poignant.
Dans le film Dancing in Jaffa, quelques scènes permettent de saisir ce qu’est devenue la ville au fil du temps. C’est tout d’abord l’occasion pour Pierre Dulaine de retrouver la maison de son enfance, celle d’où il fut chassé à quatre ans avec ses parents en 1948, je ne vous raconte pas l’accueil que lui réserve le nouveau propriétaire des lieux, allez voir le film! Une autre scène du film met en images une manifestation de juifs israéliens (de droite) qui défilent dans les rues de Jaffa en scandant “Jaffa est juive, Jaffa est à nous“. Leur objectif est ni plus ni moins de judaïser la ville. D’autres villes mixtes en Israël comme Haïfa et Jérusalem subissent le même sort.
C’est sans complexe que ces changements sont décrits positivement par les promoteurs immobiliers qui encouragent à investir à Jaffa: “certains des habitants, juifs pour la plupart, ont bénéficié de politiques gouvernementales, comme un coup de pouce dans le développement immobilier visant à transformer l’image de la ville de ghetto en une banlieue culturellement relancée et branchée (…) Cette gentrification rapide de Jaffa n’est pas sans controverse. Environ un tiers des 60. 000 habitants de Jaffa sont arabes, et beaucoup d’entre eux estiment qu’ils sont écrasés, en quelque sorte, dans la nouvelle revitalisation”.
Et de fait, j’y suis retournée en avril dernier et j’ai été choquée de constater à quel point une ville peut être vidée de son essence. Jaffa ne ressemble plus du tout à la ville mixte que j’ai connu et tend de plus en plus à ressembler à Tel-Aviv. Le phénomène de gentrification/judaïsation qui est à l’oeuvre de manière insidieuse depuis un bon bout de temps à littéralement transformé le port, le marché, les rues bref la ville de Jaffa. Ainsi en négligeant ses rues, ses immeubles et ses plages, Jaffa était fin prête à recevoir “un coup de pouce des pouvoirs publiques” – une bonne revitalisation urbaine – la vidant du même coup d’une bonne partie de ses habitants originels…