Sharon de Bruxelles

Témoignage sur les conflits importés

Témoignage sur les conflits importés

Je suis née à Bruxelles en 1974 d’une mère israélienne et d’un père belge, tous deux juifs. Israël a toujours été idéalisé dans ma famille. Pendant longtemps, j’ai cru qu’Israël était un désert avant l’arrivée des juifs en 1948. Je n’avais jamais entendu parlé des palestiniens. C’est bien plus tard vers la vingtaine que ma vision du monde a évolué mais il m’a fallu encore vingt ans, avant d’oser émettre une opinion critique publiquement.

En juillet 2014, une nouvelle guerre commençait à Gaza, l’idée qu’une nouvelle tragédie soit sur le point de commencer et que « nous » allions, une fois de plus, nous taire, m’était devenu insupportable. Sur Facebook, je décide d’exprimer mon indignation par rapport à l’aveuglement de la société israélienne vis-à-vis des milliers de morts palestiniens. Ensuite, assez rapidement, j’ai commencé à recevoir des messages haineux et des menaces. Des recherches m’amènent à découvrir la source. Un individu raconte que j’organise des manifestations anti-Israël et invite la communauté juive à me considérer comme une personne dangereuse. Ces propos mensongers et diffamatoires deviennent rapidement viraux et des membres de la communauté juive se mettent à les propager jusqu’à ce que cela arrive aux oreilles de ma propre famille. Captures d’écrans à l’appui, je les publie sur mon mur pour montrer ce qui se passe quand on ose, en tant que juive, manifester son empathie envers les palestiniens.

Suite à cela, j’ai reçu des centaines de messages de soutien et mon témoignage a été publié dans un média belge. Ce soutien populaire et médiatique m’a aidé à me sentir moins seule et aussi à faire comprendre à ma famille ce qui s’était réellement passé. Ce fut pour moi un vrai « coming out » parce qu’oser critiquer la politique israélienne quand on a vécu une partie significative de sa vie dans la communauté juive, c’est oser se confronter à son milieu familial et risquer le rejet. Peu de gens sont prêts en payer le prix.

Par ailleurs, je pense aussi qu’il est plus important que jamais de lutter contre l’antisémitisme. Ce n’est pas parce que je critique ouvertement la politique israélienne que je ne vois pas les dérives antisémites qui ne cessent d’augmenter depuis les années 2000. Il est de mon devoir de rester vigilante et de dénoncer ceux qui instrumentalisent parfois le conflit israélo-palestinien pour véhiculer des propos haineux vis-à-vis des « sionistes » (terme que je n’utilise plus tellement il est galvaudé) et qui ne servent en rien la cause palestinienne. Montrer que tous les juifs de Belgique ne cautionnent pas la politique israélienne – qu’ils sont capables de s’élever contre les injustices infligées aux palestiniens – est aussi une bonne manière d’éviter les amalgames.

Sharon de Bruxelles, le 21 octobre 2018.

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REFUZNIKS. Dire non à l’armée en Israël.

REFUZNIKS. Dire non à l’armée en Israël.

Entretien avec le photographe Martin Barzilaï

Martin Barzilai est photojournaliste, il enseigne aujourd’hui la photographie à Paris. Il a récemment publié un livre “Refuzniks. Dire non à l’armée en Israël” dans lequel il tire le portrait de jeunes et moins jeunes qui refusent (la longue) obligation militaire[1] qui a cours en Israël. La force du livre repose sur le souci de comprendre et d’exposer les trajectoires de celles et ceux qui font ce choix dans un pays en état d’urgence permanent, où l’armée est vue comme le garant de la sécurité et le fait de la servir comme un geste patriotique. Leur refus, qui témoigne d’un courage certain, les expose à des mesures de répressions et à une forme d’ostracisme.

Refuzniks. Dire non à l’armée en Israël”, le livre de Martin Barzilai, préfacé par le cinéaste Eyal Sivan et édité par Libertalia, a reçu le soutien d’Amnesty International. Martin Barzilai sera le vendredi 9 mars à 20h15 à l’UPJB pour y présenter son livre.

“Ce qui me lie à Israël, c’est un truc d’exilé permanent.”

Je suis né à Montevideo en 1971. Pour fuir les nazis, mon grand-père paternel, d’origine juive, a quitté Paris pour l’Uruguay en 1940. En 1972, j’ai un an et demi, mes parents, à cause de la situation politique, décident de quitter l’Uruguay. Ils se demandent s’ils vont aller en Israël ou en France et finissent par choisir Paris. Dans le bateau qui ramène mon père de Montevideo à Paris, au moment de croiser la route du bateau qui va en sens inverse, mon père se demande s’il part ou s’il revient…

Ce qui me lie à Israël, c’est ce truc d’exilé permanent. Salonique-Paris-Rio-Buenos Aires-Montevideo-Paris… Arriver en Israël, cela a dû représenter pour certains l’espoir de trouver enfin un pays où vraiment s’installer. Mais, entre ceux qui, à un moment de l’histoire, font ce choix-là et la géopolitique, il y a un gap énorme. En interviewant les refuzniks, j’ai compris qu’il y avait plusieurs sens au mot sionisme, parfois même contradictoires… La réalité à laquelle on est confronté en allant là-bas, la violence d’un état colonisateur, nous contraint à prendre position.

“Je me suis rendu compte du contraste qu’il y avait entre l’endroit où je logeais à Tel-Aviv et les rues de Gaza”

Je suis suis allé en Israël pour la première fois en 1993. J’ai rendu visite à un ami vidéaste, plutôt un opposant. Lui et d’autres amis se sont dit que, comme photographe, j’aurais certainement envie d’aller en Cisjordanie et à Gaza, alors que moi je ne venais pas du tout pour ça, je venais par curiosité. Mais j’ai quand même accepté. Je me suis alors rendu compte du contraste qu’il y avait entre l’endroit où je logeais à Tel-Aviv et les rues de Gaza. J’ai soudainement réalisé la situation dans laquelle vivaient les palestiniens.

“A l’époque c’était particulièrement dur, celui qui n’avait pas fait son service était considéré comme un handicapé”

Pendant ce voyage, j’ai rencontré un jeune de mon âge, même goûts musicaux, mêmes opinions politiques. Lui-même était d’origine argentine. Son père avait disparu, victime de la dictature. Ses frères, sa mère et lui étaient venus s’installer en Israël, dans un kibboutz. Il m’a raconté comment il avait refusé de faire son service militaire et comment il s’était fait passer pour fou. En rappelant son histoire et la perte de son père pendant la dictature en Argentine, il a prétendu qu’il faisait des cauchemars avec des uniformes… et l’armée n’a pas voulu de lui… En fait, il vivait très mal son statut d’exclu de l’armée par rapport à ses copains qui faisaient tous leur service. A l’époque, c’était particulièrement dur : si tu n’avais pas fait ton service, tu es considéré comme handicapé.

“On entendait peu parler de ce qui se passait du côté de l’opposition de la construction du mur côté israélien.”

Ensuite, il y a eu la construction du mur. Si on entendait parler de ce qui se passait du côté palestinien, on ne savait pas grand-chose de ceux qui, du côté israélien, s’opposaient à sa construction. Avec une copine, on a décidé de rencontrer et d’interviewer ceux qui, du côté israélien, soutiennent les palestiniens. Là, on a fait la connaissance de ActiveStills[2], un groupe de photographes militants. A l’époque, ils se mêlaient aux manifestations des palestiniens contre le mur, prenaient des photos des exactions commises par les soldats israéliens pour ensuite les coller dans les rues de Tel-Aviv. Cette action peut paraître assez anodine quand on sait que des villages comme Bilin[3] se trouvent à moins d’une heure de Tel-Aviv mais la plupart des israéliens ne veulent pas voir ce qui se passe là-bas, et leur imposer ces photos prend alors tout son sens…

“Tout cela m’intéressait parce que ça en disait long sur ce qu’est la société israélienne.

Les israéliens qui refusent de faire leur service militaire sont évidemment minoritaires et leur choix les marginalise. Mais ce choix n’est pas toujours motivé par des raisons politiques. Certains le font pour des raisons plus personnelles, par exemple parce que, homosexuels, ils craignent l’homophobie de l’armée. Ceux-là sont plus difficiles à rencontrer : contrairement aux autres, ils ne cherchent pas à médiatiser les raisons de leur refus, aujourd’hui encore, ils vivent dans la honte. Celles et ceux qui ont acceptés d’être photographiés, ce sont ceux qui ont décidé qu’ils quitteraient le pays un jour. Tout cela en dit long sur la société israélienne, et c’est évidemment ce qui m’intéresse …

[1] L’obligation militaire en Israël, c’est 3 ans pour les garçons et 2 ans pour les filles, et l’objection de conscience n’existe pas

[2] Site web du collectif de photographes: http://activestills.org/

[3] Un des hauts lieux de la contestation contre le mur israélien en Cisjordanie occupée

De Jérusalem à Bruxelles, il n’y a qu’un pas.

De Jérusalem à Bruxelles, il n’y a qu’un pas.

Effi Weiss & Amir Borenstein sont deux artistes israéliens établis à Bruxelles. Dans leur film « Deux fois le même fleuve » tourné le long du fleuve Jourdain – lieu emblématique du tourisme israélien – ils mettent à nu les représentations de la société israélienne liées à la construction identitaire du pays. J’ai eu, à mon tour, envie de questionner leur rapport à l’identité et à la ville de Bruxelles, leur ville d’adoption.

Choix de ville, choix de vie.

Amir et Effi sont nés au début des années 70 en Israël. Amir vient de Haïfa et Effi de Ramat Gan, une ville proche de Tel-Aviv. Après leur rencontre à Bezalel, l’école des Beaux-Arts de Jérusalem, ils décident de former un duo artistique et de rester à Jérusalem. A l’époque, ils sont à contre-courant car la scène artistique se développe à Tel-Aviv réputée plus libre et festive par opposition à Jérusalem où le moindre caillou est lourdement chargé de sens et d’histoire « Tel-Aviv est la nouvelle ville, la ville israélienne par excellence créée dans le cadre du projet sioniste. Tel-Aviv, c’est une ville exclusivement juive même si y résident aussi des arabes. Jérusalem est une ville de 3000 ans ou cohabitent trois religions et plus… ». Leurs choix de ville correspondent à leurs choix de vie. En Israël, Jérusalem plutôt que Tel-Aviv. En Europe, Bruxelles plutôt que Paris, Berlin ou Amsterdam : « Il y avait un désir de chercher un endroit plus underground, un lieu qui n’est pas à priori un choix naturel. Et donc pas un centre comme Berlin, Amsterdam ou Paris. On n’était jamais venu à Bruxelles plus de deux heures avant de prendre la décision d’y habiter ! On a pris notre décision un peu à l’aveugle. On n’avait aucune idée de ce qu’était Bruxelles avant de venir… »


Des enfants de « sabras » un peu à l’étroit…

Effi et Amir sont nés dans une famille de vrais « sabras ». Sabra désigne les populations juives nées avant 1948 dans le territoire de la Palestine sous mandat britannique et leurs descendants dans la population israélienne. Par extension, cela désigne tous les Juifs nés sur la Terre d’Israël. Le mot dérive de l’hébreu tsabar (figue de barbarie), allusion à la douceur du fruit qui se cache derrière la plante piquante du désert, à l’image supposée des Israéliens de cette génération qui se voulaient si différents et si éloignés des juifs de la diaspora, qui se voulaient lavés de la «maladie juive» incarnée par l’exil. Et qui ont désiré à toute force créer en terre d’Israël, un Juif nouveau, souverain, fier et fort[1]. Les parents d’Effi et Amir sont nés en Israël, leurs grands-parents sont arrivés en Palestine dans les années trente, avant la création de l’Etat d’Israël[2]. La shoah et leurs racines européennes n’ont quasiment pas fait partie du récit familial : « Moi j’ai découvert sur le tard que les cinq frères de ma grand-mère ont péri dans le camp d’extermination de Sobibor le même jour. En tout cas, ça ne faisait pas partie de mon identité, ça ne faisait pas partie de l’histoire familiale. J’ai grandi dans une famille israélienne plutôt qu’européenne. Nos parents c’étaient des « sabras ». Mon grand-père ne voulait parler que l’hébreu, il ne voulait pas prononcer un seul mot de yiddish ». Leur exil volontaire vers l’Europe de leurs ancêtres résonne pour eux comme un retour aux sources même si, a priori, ce n’était pas leur unique motivation. Chacun d’eux, à sa manière, a eu besoin d’espace et de rencontre avec l’Autre. Effi étouffait dans une société ultra-conformiste où très peu de place est laissée à l’individualité et à l’expression d’une opinion divergente. Amir aimait par-dessus tout aller à la rencontre des autres cultures.

…séduits par la Zinneke attitude…

Ce qui les a attirés à Bruxelles, c’est justement l’inexistence d’une identité locale forte : « moi je trouve que c’est un grand avantage. Il faut juste défendre cette non-identité. Ce qui devient compliqué c’est quand on essaie d’inventer une identité qui n’existe pas c’est là ou ça devient dangereux. Des gens qui se revendiquent comme Zinneke, nous on trouve ça génial ». Il est vrai que les bruxellois se rêvent métissés à l’image du «zinneke », terme péjoratif à l’origine pour désigner les chatons sans race devenus trop envahissants à Bruxelles que les habitants noyaient dans la Senne. Le nom Senne se traduit par de Zenne en néerlandais standard, et Zinne en Bruxellois. Les Zinneke étaient donc à l’origine ces petits chats bâtards, sans race, destinés à être jetés dans la Senne. Par extension on appelle Zinneke tout animal ou même personne d’origines mélangées[3]. Les bruxellois se sont appropriés ce terme pour en faire une valeur positive intrinsèque de leur identité. La figure du Zinneke est à l’opposé de celle du sabra: « En Israël, le moule est tellement puissant qu’il fait table rase du passé et des diverses identités qui ont constitué le peuple juif ».

…mais perplexe vis-à-vis de la somnolence bruxelloise

Néanmoins, une chose étonne Effi. Elle s’interroge sur le peu de liens entre néerlandophones et francophones à Bruxelles et l’inexistence de lieux ou bruxellois, francophones et néerlandophones, se côtoient voire grandissent ensemble en partageant leurs cultures respectives. Elle qui vient d’un pays dans lequel, malgré le climat peu propice, des écoles judéo-arabes existent : «Comment est-ce possible qu’en Israël, il y a des écoles bilingues, là ou juifs et arabes sont considérés comme des ennemis, et qu’à Bruxelles ce soit chose impossible ? » questionne Effi. Comment expliquer qu’à Bruxelles, personne ne s’insurge contre cette impossibilité devenue au fil du temps et des conflits communautaires quasiment structurelle ? Effi et Amir pensent que le point faible de Bruxelles c’est sa somnolence qui rend les bruxellois inertes aux changements fussent-ils anti-démocratiques : « il y a un manque d’énergie qui rend les gens trop obéissants et ça fait peur car on sait où ça mène l’obéissance… ». En guise d’illustration, Effi fait référence au bouclage de la ville suite aux attentats de Paris en janvier 2016 où grâce à l’argument sécuritaire, le gouvernement pouvait faire accepter aux bruxellois tout et n’importe quoi sans que personne ne bronche sur le caractère non-démocratique des mesures envisagées pour lutter contre un ennemi commun et pour le moins abstrait : « le terrorisme ».

Yordims ? Sales sionistes ?

Les israéliens qui quittent leur pays sont souvent mal considérés par leurs ex-compatriotes. Ceux-ci les appellent les « Yordim ». Yordim est un terme péjoratif signifiant littéralement ceux qui descendent par opposition à ceux qui montent en Israël les Olim. Le phénomène des israéliens expatriés a tendance à être minimisé en Israël. Il est difficile de se faire une idée de l’ampleur et de l’évolution du phénomène tant les statistiques israéliennes ne permettent pas réellement de le mesurer. Mais quand on voit les efforts déployés par le gouvernement israélien pour étoffer sa démographie juive, il y a de quoi se poser des questions. Quand on demande à Effi et Amir s’ils se considèrent comme des expatriés, des exilés ou encore des yordims, on sent bien qu’ils se sentent à l’étroit dans ces cases. Quelque part s’ils sont venus au pays des zinneke, c’est pour se libérer des étiquettes. Mais on n’y échappe jamais complètement.
Critiqués là-bas par leurs ex-concitoyens, ici, ils doivent, comme d’autres immigrés, faire face à la sempiternelle question : d’où venez-vous ? Ils disent ne pas toujours se sentir à l’aise dans le climat actuel mais précisent-ils « c’est plus par peur d’être mis dans une case que par peur de l’antisémitisme ». En tant que juifs et israéliens, ils pourraient aussi bien être confrontés à de l’antisémitisme qu’à de l’anti-israélisme primaire. Ils n’ont jamais vécu personnellement de mauvaises expériences mais ils ont entendu des récits d’amis moins positifs: « j’ai des amis qui ont vécu des expériences pas très drôles, du coup j’ai toujours cette peur et j’essaie de ne pas vivre dans la peur. Alors je me dit : allez on est tous des êtres humains. Je ne suis pas responsable de mes origines. J’en suis ni fière ni honteuse. Elles font partie de moi mais elles ne me définissent pas »

[1] David GROSSMAN (1995), La fin du sabra mythique, article du 7 novembre 1995 dans Libération.
[2] Source : wikipédia
[3] Georges LEBOUC (2006), Dictionnaire de belgicismes, éditions Racine.

Mohamed de Jérusalem et Sharon de Bruxelles

Mohamed de Jérusalem et Sharon de Bruxelles

Lors de mon récent voyage en Israël, j’ai été rendre visite à Mohamed que j’avais déjà rencontré à Bruxelles. Mohamed est un résident palestinien natif de Jérusalem-Est. Il a vécu une dizaine d’années en Belgique où il a épousé une femme juive avec laquelle il a eu une fille. Quand un jour, après avoir divorcé, il décide de retourner dans sa ville natale, il apprend qu’il a perdu son permis de résidence. Comme si, le fait de devenir belge, signifiait de facto qu’il y avait renoncé. Il s’est donc retrouvé pendant des années sans permis de résidence ce qui équivaut à vivre comme un illégal (sans permis de travail, sans assurance, maladie etc.) dans sa ville natale. Suite à un combat tenace pendant des années, il a fini par obtenir gain de cause auprès du tribunal de Jérusalem qui a chargé le Ministère de l’Intérieur de rétablir son statut de résidence. Le cas de Mohamed est un exemple parmi d’autres du traitement réservé aux citoyens de seconde-zone que sont les palestiniens d’Israël.

Ce qui m’interpelle, c’est que j’ai vécu, une histoire similaire mais dans l’autre sens…

En janvier 2009, j’avais alors 35 ans, je décide de rendre visite à mes proches en Israël. C’est l’occasion de leur présenter mes deux fils et mon compagnon. Nous tombons alors en pleine guerre et le pays est sous tension. Arrivée à l’aéroport Ben Gurion, je montre mon passeport belge à la douane comme je l’ai toujours fait. Je suis née en Belgique. Bien qu’ayant passé de nombreuses périodes de vacances au sein de ma famille en Israël, je n’y ai jamais habité. Mon père est belge, ma mère, israélienne. Tous deux sont juifs. Ils habitent en Belgique. Mon père y est né et ma mère y a immigré, il y a 50 ans. La douanière me demande où est mon passeport israélien, je lui répond que je n’en ai jamais eu parce que je n’ai jamais fait mon “alyah” ni habité en Israël. Peu à peu, elle devient agressive comme si elle me soupçonnait de lui raconter des sornettes. Elle finit par me dire d’un ton menaçant que si je ne retire pas de passeport israélien auprès du Ministère de l’Intérieur, je ne serai pas autorisée à retourner en Belgique avec mes enfants. Au Ministère de lntérieur, on m’explique alors que je ne peux plus voyager avec mon passeport belge en Israël car pour eux, je suis israélienne. C’est la loi, me dit-on, pour tous les enfants de mère israélienne. Ils finissent par me donner un laissez-passer en me faisant promettre de régulariser la situation une fois arrivée en Belgique.

S’ensuit, pour moi, un dilemne et une réflexion autour de cette “nouvelle” identité.

Renoncer ou la garder ? Israël est le pays de ma mère, j’y ai beaucoup de famille et des liens affectifs puissants, c’est évident que je serai amenée à y retourner souvent. Mais que se passera-t-il si je renonce à cette nationalité qui me semble être un privilège injuste comparativement à des natifs qui ne possède souvent, eux, que des sous-statuts?
Et puis, qu’est-ce que cela implique pour mes enfants? Transmettrais-je, à mon tour, la nationalité israélienne à mes fils? Et dans leurs cas, seront-ils sollicités pour faire trois années d’armée, à leurs dix-huit ans? A l’ambassade, ils m’assurent que la transmission s’arrête à la deuxième génération et ne va pas au-delà. Je suis à moitié rassurée par des paroles (qui s’envolent) et ne trouve rien d’écrit sur ce sujet noir sur blanc (des experts dans la salle?).

Dans un même temps, l’identité israélienne est clairement une des facettes de mon identité, l’hébreu, par exemple, est ma langue maternelle (au même titre que le français). Comme beaucoup d’immigrés, ma mère m’a élevée dans la nostalgie de son pays, celui dans lequel elle a grandi. Oui, au fond de moi, je me sens aussi israélienne. Et cela, au même titre que des natifs belges d’origine italienne ou marocaine, possédant la double nationalité. Et la politique des gouvernements israéliens successifs, avec lesquels je suis en désaccord au moins depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin, n’y change absolument rien. Et puis, quelque part, si je deviens israélienne n’est-ce pas aussi une manière de faire grossir les rangs de la minorité de gauche israélienne?
C’est ainsi qu’en 2009, en pleine guerre “plomb durci”, ulcérée par l’indifférence de la société israélienne face au millier de morts à Gaza, je devins, dans un même temps, israélienne et plus déterminée que jamais à m’engager pour soutenir le combat de ceux qui militent pour plus de justice sur ce territoire.

Mon amour de goy 2

Mon amour de goy 2

Un atelier sur les couples mixtes dans le cadre du festival How Do You Jew (2015)

Entre 15 et 20 participants de tout âges, hommes et femmes ont donné leurs points de vue sur les couples mixtes après la lecture du texte ci-dessus. Tous concernés. En couple mixte, enfants de couple mixte, grands-parents de petits enfants de couple mixtes. Les âges des personnes présentes sont approximatifs mais il m’a semblé intéressant que les lecteurs puissent en avoir une idée. C’est volontairement un peu « brut », le petit échantillon et le matériau qualitatif ne permettant pas de faire des généralités.

  1. Qui est juif ?

A la question qui est juif ? Plusieurs réponses sont possibles selon que l’on prenne comme référence l’un ou l’autre courant du judaïsme (orthodoxe ou réformiste). Sans oublier les autres tiers qui donne ou ont donné une définition politique de l’identité juive (l’Etat d’Israël dans ses limites aux bénéficiaires de la loi du retour mais aussi les nazis dans leur stratégie d’extermination du « peuple juif »). L’idée dans cet atelier n’était sûrement pas d’y répondre (si tant est qu’il y ait une réponse) mais il est intéressant de constater que lorsqu’il est question d’identité(s), de mixité et de transmission, cette question occupe beaucoup de place. Plusieurs participants ont évoqué la fameuse phrase attribuée à David Susskind: « Est juif celui dont les enfants sont juifs ». Pour la plupart des participants, la judéité est avant tout une question de transmission.

A. 60 ans : David Susskind qui a repris la phrase de Shimon Peres donne la définition sociologique du juif qui transmet ». Pour A., connaître sa propre culture mais aussi celles des autres est primordiale : « il y a de longues années un copain m’a dit : tu viens à la manifestation de soutien aux arméniens ? Je lui ai répondu : Marc est-ce que tu parles cinq mots de la langue arménienne ? Non me répondit-il. Bon, il serait peut-être plus utile que tu apprennes cinq mots d’arménien plutôt que d’aller à une énième manifestation. ». L’importance accordée à la transmission lui fait dire qu’« est juif celui dont les petits-enfants sont juifs ». Selon lui, la laïcité est souvent un prétexte pour l’ignorance « Que chaque juif pratique ou pas, j’en ai rien à cirer. Mais quand tes petits enfants juifs diront le mot Hanoukka, Brith Mila, j’aimerais qu’il sache ce que ça veut dire ! Cette transmission là existe. Voilà. ». Enfin, il distingue transmission culturelle et pratique de la religion : « Quand un libre-penseur (ou pas) entre dans un musée ou dans une église, il voit une descente de croix ou une ascension, il comprend culturellement de quoi il s’agit. Quand le New-York times parle de Bar-Mitsva, de Brith Mila ou de Hanoukka, il n’y a pas de notes en bas de page pour expliquer ce que ça veut dire, dans Regards oui, et ça me fait chier ! ».

J. 39 ans: « C’est vrai qu’on se dit qu’on a réussi dans notre judaïsme en transmettant quelque chose à nos enfants et petits-enfants ». Elle explique que son compagnon va un cran plus loin, en envisageant « la judéité à rebrousse-poil ». « Mon compagnon m’a dit mais en fait ce n’est pas du tout ça la signification de cette phrase (est juif celui dont les enfants sont juifs), la signification de cette phrase, c’est qu’il faut la prendre à rebrousse-poil : est juif celui dont les enfants sont juifs. Et donc dès lors que mes enfants sont juifs, je suis juif parce que tu es juive et parce que notre fils a été circoncis. En fait, moi catholique d’origine flamande, rien à voir avec le judaïsme, en fait je suis un peu juif. Je vais à Beth aviv (école juive) tous les matins, mes enfants ont été à la crèche du CCLJ. En fait ça déteint sur moi. Et donc il y a une transmission inversée (à rebrousse-poil). »

V. 42 ans: fait remarquer qu’il y a tout de même un jugement halakhique qui porte a conséquences pour celui qui souhaite pratiquer la tradition: «Par exemple quelqu’un qui se considère comme juif pourrait ne pas être autorisé à se marier à la synagogue et ça ça pose un problème pratique. »

L. 55 ans qui se définit comme juif pratiquant du courant réformiste (Chir Hadash) lui répond : « il y a de gros problèmes pratiques mais il faut savoir que le judaïsme n’est pas unique et invariable. Il y a déjà des variations entre toutes les communautés ashkénazes, sépharades, mizrahims et éthiopiens. Le judaïsme est l’ensemble de toutes les tendances du judaïsme et il y a des tendances qui ont pris à cœur ce problème pour que tout le monde puisse vivre en harmonie parce que ce qui est important c’est de pouvoir cultiver quelque chose sans qu’un jour quelqu’un vous dise que vous êtes quelque chose et que vous n’avez pas pu en profiter. Moi je vis le judaïsme pour le meilleur comme ça le jour où c’est pour le pire ben j’aurais eu le meilleur ! »

S. 50 ans: « Moi non plus mes enfants ne sont pas juifs selon la halakha, moi j’ai épousé une chrétienne mais tout dépend des courants, pour le courant Massorti, mes enfants sont considérés comme juifs donc c’est aussi pour ça que je suis ce courant là mais effectivement ça pose des problèmes. Mon fils est circoncis, mes enfants se considèrent comme juifs, ils vont dans des écoles juives mais leur maman n’est pas juive. Il y a une chose sur laquelle on a toujours été d’accord c’est que nos enfants soient éduqués dans le judaïsme. »

B. 57 ans: « A chaque fois que la question se pose, c’est comme s’il y avait un problème. Or, il est où le problème ? Qui se soucie qu’on le soit ou pas. En général, c’est quelqu’un qui veut savoir si on fait partie du cheptel ou pas. Et quelqu’un qui se définit en dehors du cheptel, ça terrorise. Or du coup c’est toujours l’estampille, l’appartenance, à quel club tu cotises quoi ?! Comme si être en dehors c’était problématique. Bon moi je suis juif, j’ai grandi au Maroc, j’ai souvent été en dehors et je me sens très bien en-dehors, être un étranger ça me paraît normal. Par contre le repli identitaire autour d’une estampille, j’ai un problème parce que moi je n’aime pas être enfermé dans des bocaux et au nom de n’importe quel idéologie, je ne peux pas me sentir enfermé. Du coup je préfère être dans l’ombre plutôt que d’appartenir à un groupe mais ça ne veut pas pour autant dire que je suis sauvage et que je ne veux parler à personne. Mais humain, ça me paraît la seule chose à laquelle on peut s’identifier de manière universelle. Que les juifs se soucient de l’humanisme, qu’ils soient empathiques, ce n’est pas un hasard si il y a bcp de photographes juifs. A travers des questions identitaires, on cherche à savoir qui sont les autres et bcp de photographes cherchent à savoir qui sont les autres à travers leur objectif. »

  1. Quelle transmission ? Quelles identités transmettre à ses enfants?

Que transmet-on lorsqu’on se définit comme un couple mixte, que l’on n’est (ni l’un ni l’autre) pratiquant ? Que transmet-on lorsque que l’on partage sa vie et que l’on élève des enfants avec un conjoint non juif qui se déclare athée

S. 41 ans:

« Il y a comme un besoin ou une injonction à transmettre qui vient des famille ou du milieu juif. Je ne sais pas si cette injonction est aussi importante chez tout le monde… Peur de couper les liens, peur de disparaître ? Je pense moi qu’effectivement c’est plus intéressant pour les enfants de pouvoir s’identifier à leurs deux parents. Je me suis posée ces questions, j’ai eu envie que mon compagnon s’y retrouve même si j’ai pu constater qu’il n’avait pas la même ardeur à transmettre que moi… Moi je me sens plutôt mal à l’aise avec l’idée d’être la seule à transmettre. Mais en fait je ne suis pas la seule à transmettre mais peut-être la seule à en ressentir (autant) le besoin ? Etre juif en Belgique, c’est aussi faire partie d’une minorité. Mon compagnon est belge et nous sommes en Belgique. A priori l’histoire de la Belgique fait partie des programmes d’enseignement, la culture (belge) est partout. Si moi je n’enseigne pas ma culture (juive) à mes enfants, personne d’autre ne le fera à ma place. Que se passerait-il si nous partions dans un autre pays ? Peut-être serions-nous plus amenés à transmettre notre belgitude ! »

A. 60 ans:

Voici quelques données statistiques intéressantes qui valent le commentaire, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, il est beaucoup plus fréquent qu’un homme juif épouse une femme non-juive que l’inverse. La différence statistique est énorme. L’autre donnée, il y a une étude américaine qui date d’il y a 5 ou 6 ans de l’American Jewish Congress qui a été vite enterrée (vous allez comprendre pourquoi, j’en ai eu connaissance par hasard). Typiquement dans l’Etat de New-York, les hommes juifs d’un niveau universitaire épousent une femme juive, lui font un, deux ou trois enfants, divorcent, puis épousent une femme non-juive. C’est un trends extrêmement significatif : le Devoir et puis le Plaisir. L’inverse est très rare.

A. 60 ans : Je crois qu’il faut étudier la question de manière tout à fait différente d’un point de vue macrosociologique où là toutes les minorités, les arméniens, les tziganes, les grecs. Vous avez tous vu le film « Le grand mariage grec ». C’était un désastre quand la fille veut épouser un Xénos (un étranger, un non-grec). Idem pour les arméniens et les tziganes. Là les juifs ne se distinguent pas des autres minorités. Et d’un point de vue microsociologique, du point de vue individuel, personne ne peut dire non non non, il n’est pas juif donc je ne l’épouse pas. Deux perspectives totalement différentes à distinguer.

J. 39 ans: « Je suis avec quelqu’un qui n’est pas juif et j’ai des enfants qui sont « point d’interrogation ». Je dis point d’interrogation parce qu’on parle bcp ici d’identité juive mais pour nous au sein de notre couple on a défini nos enfants come ayant une identité mixte et c’est très important pour nous que l’identité soit mixte. Je ne l’ai pas compris tout de suite mais au fil des discussions cela m’a paru très important. Pour moi, ils ont une identité juive, pour lui ils ont une identité qui ne doit pas être que juive. Pourquoi ? Parce que si on les éduque que dans le judaïsme ou que dans le catholicisme quand ils sont petits, à 18 ans ils risquent d’avoir un revers de bâton et de rentrer complètement en réaction à l’une ou l’autre identités. Là je me suis dit que ce serait bien que ce soit plutôt mixte, au moins je n’ai pas de mauvaises surprises à 18 ans. Donc pour nous c’est important qu’il y ait cette mixité. »

A. 40 ans: « moi je suis de culture catholique mais athée. C’est vrai que je ressens que la culture catholique si elle n’est pas religieuse, elle est beaucoup moins forte que la culture juive. Il y a une mémoire qui se transmet beaucoup plus. Donc moi finalement ma culture catholique, je ne la transmet pas réellement, je transmet d’autres choses mais au niveau de l’identité catholique ça s’effiloche un peu. On fête Noël mais ça se limite à ça »

A. 40 ans: « Mes enfants sont juifs mais je me demande encore, de mon côté n’étant pas juif, quels mots je peux donner pour qualifier mon apport ? En fait, les mots sont très réducteurs. Le mieux serait peut-être d’être détaché de cette question. Ce n’est peut-être pas nécessaire ou pas très important pour moi. D’où la question est-ce qu’on peut réduire quelqu’un à une seule identité ? Dans le texte de Sharon, j’ai trouvé ça intéressant qu’elle mette en évidence le fait que ses parents sont juifs mais finalement d’origines et de cultures tellement éloignées, je ne crois pas que c’est si pertinent de se réduire à une seule identité.»

L. 55 ans: « L’identité juive, j’ai l’impression que c’est dynamique. C’est vrai, on peut naître juif ou non-juif selon la halakha mais ce n’est pas ça qui est important, c’est ce que l’on fait de ce bagage. On a eu de très belles histoires et on peut encore en raconter des milliers. (A A.40 ans), je t’ai entendu dire tout à l’heure que tu as deux enfants juifs. J’ai réfléchi et me suis dit donc le papa considère que ses deux enfants sont juifs alors je me suis dit, est-ce que le papa est plus juif que la maman ? Parce que lui, il se réfère au texte ! »

A. 60 ans: « La comparaison entre être catholique et juif n’est pas forcément pertinente. Catholique est une religion. Juif est bien plus large que ça. On peut transmettre énormément de choses sans dire un mot de Dieu ou de la religion. Moi mon judaïsme c’est la tradition Mitteleuropa du début du 20ème siècle, c’est pas tellement Maïmonide, c’est plutôt Kafka, Freud, cette tradition-là. »

J. 28 ans: « Mon père est juif franco-israélien, ma mère est non seulement catholique mais aussi allemande. Au niveau de la transmission on a été élevés en allant à l’église tous les dimanches, en apprenant l’allemand et le français et en allant en Israël tous les ans pour Pessakh (Pâque juive). Il y a eu des moments de remise en questions des 5 frères et sœurs que nous étions. Tous les 5 se définissent de manière tout à fait différente. Chacun a un peu trouvé à partir des milieux sociaux dans lequel il a évolué des chois et des études qu’il a fait… Chaque définition est très personnelle. C’est au sein de la famille qu’on se retrouve sachant qu’il y avait déjà une tradition de mixité parce que du côté catholique, c’est en fait catholique protestant et du côté du grand-père, il y avait déjà eu une conversion au catholicisme ce qui a été presque plus difficile que le mariage catho/juif et du côté c’est ashkénaze et sépharade. On s’en sort tous bien mais avec des questionnements qui n’en finissent pas et qui ne finiront certainement jamais mais on va tous bien. »

Le 21 juin 2015

Mon amour de goy 1

Mon amour de goy 1

En juin 2015 a eu lieu, le festival How Do You Jew. Il s’agissait d’un festival éclectique sur des thèmes variés. J’y présentais un atelier sur le thème des couples mixtes intitulé mon amour de Goy. Le texte ci-dessous a servi d’introduction au dit atelier.


Dans le récit incarné que je vais vous livrer dans le cadre de cet atelier, je pars de mon point de vue de femme athée ce qui n’est pas un détail dans le cadre de la transmission matriarcale de l’identité juive. J’espère donc que ce que je vais vous dire va vous faire réagir. Mon objectif est de partager ici nos diverses expériences sur des questions peu débattues dans les familles. C’est un sujet très vaste et c’est pour moi ici le lieu d’expérimenter et de comprendre, parmi les questionnements que je vais soulever, quels sont ceux qui font le plus écho en vous.

Quand j’ai pensé à ce thème, j’ai d’abord pensé à ma propre expérience avec le père de mes enfants. J’ai pensé à notre rencontre et à l’accueil que notre union a reçu auprès de nos familles et de nos proches. J’ai pensé à notre parcours, à nos discussions sur la circoncision, sur les choix d’école, sur les fêtes et les rites culturels, ceux que nous avions envie (ou pas) d’inscrire dans notre histoire familiale. J’ai pensé à notre trajectoire familiale singulière composée par nos identités multiples et à son évolution au fil du temps. Toute cette belle réinvention quotidienne qui me fait souvent sentir plus juive que si je n’avais pas à l’expliquer à mon amour de Goy.

Dans ma famille juive, peu de sujets d’ordre identitaire faisaient l’objet d’un questionnement. Mes deux parents sont juifs et la plupart des choses « allaient de soi ». Je n’ai jamais entendu nulle part le moindre débat autour de la pratique ancestrale de la Brith Mila (circoncision) (ni dans ma famille ni ailleurs dans les institutions juives que j’ai fréquentées avant d’avoir des enfants). C’est compréhensible en même temps puisqu’il suffisait de ne pas se marier avec un « goy » ! Or cette pratique est sans aucun doute un grand sujet de débat – parfois une source de conflit – en tout cas une question éminemment sensible dans l’identité juive de diaspora où de nombreux juifs/juives rencontrent l’âme sœur goy.

Parmi ceux de mes amis qui ont rencontré leur moitié « goy », les avis sur ce point sont très divergents et souvent cela nous fait des débats animés. S’il y a bien une question que l’on se pose à la naissance de son premier enfant (du moins si c’est un garçon) et qui cristallise tant d’enjeux et de représentations, c’est la circoncision. Pas un seul de mes amis juifs n’y a échappé sauf bien évidemment ceux qui ont eu des filles. Après les négociations entre les parents, on croit que ça y est, le problème est réglé, mais en fait, viennent s’ajouter les questions et perceptions des enfants. J’ai deux fils, l’un des deux m’a dit un jour qu’il était gêné à la natation de montrer son zizi juif. L’autre m’a dit un jour ceci : « Maman à l’école, il y en a qui ont des zizis Capuchon, moi j’ai un zizi Champignon et papa, il a de la chance, il a un zizi “Transformers” (entendez ici un zizi capuchon capable de se transformer en zizi champignon)». Difficile de ne pas entendre qu’avoir un zizi différent de celui des copains, ben ce n’est pas si simple.

Pour certains ne pas circoncire et donc « ne pas couper », c’est couper son enfant d’une histoire familiale, d’une tradition séculaire, d’un passé, bref de ses racines. C’est un acte biographique, identitaire et de mémoire. La circoncision légitime la judéité de leur enfant aux yeux des « autres » juifs. Pour d’autres, la circoncision est un acte barbare, dépassé, une atteinte inutile au corps voire une mutilation. Cette question n’est pas uniquement l’apanage des couples mixtes, je reviens d’Israël où, à mon grand étonnement, j’ai rencontré des juifs israéliens qui remettent en question la circoncision. Un ami israélien m’a dit “si j’ai la possibilité d’avoir 4 fois plus de plaisir avec un prépuce pourquoi enlever cette possibilité là à mes enfants?“. Cette remise en question s’accompagne souvent d’une référence à des études scientifiques (notamment celles réalisées auprès d’hommes circoncis sur le tard issus de l’immigration russe en Israël) qui auraient démontré que les hommes avec prépuce avaient une sexualité plus épanouie…

Pour d’autres encore, la circoncision est un marqueur corporel synonyme de stigmatisation et de souffrances, une référence à la Shoah. Plutôt que de faire comme leurs ancêtres trop facilement repérés par les nazis, ils choisissent (tant qu’à faire !) d’éviter ce stigmate à leurs enfants. Le souci de ces derniers est que leurs enfants puissent vivre paisiblement en se fondant dans une masse universaliste. Ce sont les partisans (conscients ou inconscients) de l’assimilation. A ce propos, le couple « mixte », représente pour certains la promesse d’une rapide assimilation. Pour d’autres, c’est une voie vers la création d’un monde métissé où l’amour et les valeurs universelles priment sur tout le reste mais où les identités, la mémoire, la filiation tiennent une place importante.

Parlons-en aussi de ces identités multiples à gérer quand on est un couple “mixte”. Comment répondre simplement à cette question que m’a posée un jour un de mes fils: « maman est-ce que je suis juif ou chrétien ». Naturellement, j’aurais tendance moi, en tant qu’athée, à lui dire que du point de vue religieux, il n’est ni l’un ni l’autre puisque nous ne pratiquons aucune des deux religions. Mais les choses ne sont pas si simples et tellement personnelles. Si je leur dis qu’ils sont juifs, alors comment expliquer qu’ils ne soient pas chrétiens ? Et comment rétablir un genre d’« égalité identitaire » ? Pourquoi serais-je la seule à transmettre une identité ? Pas facile.

Comme si ce n’était pas assez compliqué, aujourd’hui après avoir choisi le prénom de son enfant (juif ou pas ?), les discussions peuvent se prolonger autour des noms de famille… En effet, depuis peu en Belgique, il est permis de donner à ses enfants les deux noms de famille, celui du père mais aussi celui de la mère. Pour moi (pour nous), ces questions se sont posées avec les tiraillements propres aux couples mixtes. Très chouette de faire apparaître deux histoires familiales sans qu’une des eux ne soient considérés de fait comme plus importante que l’autre pour moi qui suis aussi féministe. Mais bon mon nom reste un nom à « connotation étrangère » alors que celui du père de mes enfants est typiquement belge. Quand on sait (comme moi par déformation professionnelle ?), à quel point la discrimination à l’embauche est prégnante en Belgique, il y a dans ce contexte (et c’est malheureux) de quoi hésiter à donner volontairement un nom à connotation étrangère à ses enfants. Et puis quelque part, je me dis qu’en leur laissant un seul nom (aussi belge “de souche” qu’il soit), je le fais entrer de facto dans le patrimoine des noms de famille juifs!

Enfin, en préparant cet atelier, j’ai aussi pensé à mes propres parents. Ma mère née au Maroc et ses deux parcours d’immigration, l’un datant de 1949 quand elle a immigré en Israël depuis le Maroc avec ses propres parents et l’autre datant de son arrivée en Belgique début des années 60’ après sa rencontre avec mon père. Après avoir rencontré son ashkénaze de mari, ma mère a utilisé nombre de ses charmes dont son talent culinaire pour se faire accepter auprès de ses beaux-parents ashkénazes qui l’appelait tout de même la « schwartze » au début (ce qui veut dire la noire en yiddish)… Elle a du après avoir prouvé que malgré ses racines judéo-arabes – plutôt branchée couscous, srena (version du tchoulent) ou shakshouka (plat à base de tomates et poivrons typiquement juif marocain) – elle savait mieux faire le gefilte fish (carpe à la juive), le gehakte leber (foie à la juive) et le keeskiekhen (gâteau au fromage) que sa belle-mère juive polonaise.

En repensant à mes parents, tous deux juifs mais l’une issue du Maghreb et l’autre originaire d’Europe de l’Est, je me suis dit qu’entre eux, il y avait vraiment ce qu’on appelle un choc culturel. Quand je mets en perspective mon couple et le leur, c’est le leur qui s’apparente à ce que les sociologues nomment l’hétérogamie. Ce terme pour les sociologues de la famille sert à désigner dans le cadre d’une union, les conjoints qui sont éloignés culturellement ou socialement l’un de l’autre. En gros, entre mon goy de mari et moi, nés tous deux à Bruxelles, tous deux issus de la classe moyenne éduquée, il y a très peu de différences. C’est presque une coquetterie que de se considérer comme un couple mixte. Aux yeux de la sociologie, nous serions considérés comme un banal couple homogame. Voilà donc un concept qui à comme intérêt de remettre les choses en perspectives et qui nous donne l’occasion de relativiser et de questionner le concept même de “mixité”.