Cet été, j’ai eu la chance de passer un mois au Maroc, dont une semaine en résidence musicale à Essaouira où ma chorale et celle d’Essaouira ont chantés en chœur sous la direction de la talentueuse chanteuse et chef de chœur Laïla Amezian. Après cette expérience enrichissante, j’ai exploré plusieurs autres villes: El Jadida, Azemmour, Casablanca, Larache, Tétouan, Chefchaouen et Tanger.
À Essaouira, notre résidence a été marquée par des moments inoubliables. Nous avons répété dans une ancienne école talmudique, visité des lieux emblématiques qui témoignent de la riche histoire juive de la région. Un moment fort a été la rencontre avec la chorale d’Essaouira et le groupe “Les Noujoums”, qui s’est terminé par un concert magique.
Ce voyage m’a profondément reconnectée à mes racines. Quand j’ai commencé cette chorale à Bruxelles, j’étais loin d’imaginer à quel point cela allait raviver en moi cette facette de mon identité. Lors du concert de la chorale juive arabe Bab’Zouz à Bruxelles, j’ai invité ma mère et ma tante. À ma grande surprise, elles connaissaient toutes les chansons, un témoignage vivant de cette culture qui, bien que peu verbalisée, a traversé les générations.
Ces traces juives et cette histoire millénaire entre juifs et musulmans, je les connais peu. Elles ne m’ont pas été racontées, ni à l’école ni à la maison. Pourtant, je me suis toujours sentie un peu marocaine. Cette transmission s’est faite par des chemins détournés : la nourriture, les chants, la danse, les rituels, les célébrations, et le souvenir de mes grands-parents maternels, partis trop tôt. Mes grands-parents maternels ont vécu à Fès, où est née ma mère en 1943. Leurs familles étaient originaires de Sefrou. Ils ont émigré en Israël en 1949, après la création de l’État d’Israël, alors que les relations entre juifs et musulmans se dégradaient. Mon grand-père a pris la décision de partir après avoir été agressé sur le chemin de la synagogue.
Avant de vous plonger dans le récit de mes recherche de traces au Maroc, il faut que je vous raconte comment tout cela a commencé. L’élément déclencheur a été un podcast sur l’identité juive arabe de de Cléo Cohen, intitulé “Juive arabe : comment je me suis réconciliée avec mes identités” (France Culture). Ce podcast a résonné en moi, et avec mon amie Julia, nous avons décidé d’inviter Cléo Cohen à Bruxelles pour une projection de son film “Que Dieu te protège”, dont voici l’accroche: “Je me demande si, entre française, juive et arabe, il faut choisir. Je rends visite à chacun de mes quatre grands-parents, juifs d’origine algérienne et tunisienne exilés en France dans les années 1960, pour interroger avec eux le sens de ces appartenances apparemment contradictoires qu’ils m’ont léguées. Mon trouble, hélas, est peu communicatif”1.
Ce questionnement sur l’identité juive arabe a joué un rôle déclencheur. En discutant avec des amies sépharades d’origine marocaine, tunisienne ou algérienne ici à Bruxelles, j’ai réalisé que j’étais loin d’être seule dans cette quête identitaire. À Bruxelles, nous sommes peu nombreux, et c’est peut-être ce qui rend la réappropriation de cette identité si complexe, la communauté juive est majoritairement ashkénaze, contrairement à la France où, pour des raisons historiques liées à la colonisation, les sépharades sont majoritaires. Ma mère, née au Maroc, ne m’a pas parler de son vécu là-bas, même si mon enfance a été imprégnée par la culture marocaine, surtout à travers les célébrations (fêtes, mariages etc.) et sa cuisine. Ses plats, principalement marocains, ont été une transmission par les sens plutôt que par les mots, un héritage oral plutôt qu’écrit.
Pendant longtemps, j’ai grandi comme une juive ashkénaze lambda à Bruxelles (incognito grâce à mon nom de famille polonais). Mais, une part de moi (la seconde moitié) est marocaine, ni plus ni moins que d’autres personnes de ma génération nées à Bruxelles de parents marocains. Alors pourquoi si peu de transmissions de ce côté là2?
Sur mon chemin ces dernières années, j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs femmes extraordinaires3 qui m’ont encouragées à explorer ces racines jusqu’à la création d’une chorale juive arabe. Suite au concert à Bruxelles, notre chef de chœur, Laïla Amezian, nous a proposé de continuer l’aventure au Maroc. C’est ainsi que je me suis retrouvée au Maroc dans une résidence musicale à Essaouira pour la préparation d’un concert, aux côtés de chorales locales.
Je peux déjà vous dire que l’aventure continue : d’une part, depuis mon retour, je suis restée coincée au Maroc dans mes pensées, je lis et continue mes recherches sur le Maroc. Et d’autre part, nous avons rendez-vous pour une deuxième résidence musicale, cette fois-ci à Bruxelles. Si le cœur vous en dit, vous pouvez réserver dès maintenant vos places pour notre concert à l’Espace Magh dans le cadre du festival Chaabi Habibi. Au plaisir de vous y retrouver!
- Cette dernière phrase est importante parce que c’est une phrase communément entendue par la génération d’enfants nés de parents juifs marocains/tunisiens/algériens. ↩︎
- Pourquoi une telle hégémonie de la culture ashkénaze sur la culture sépharade? J’ai des éléments de réponse que je creuserai certainement: la shoah et la fabrication de l’identité israélienne ont certainement fonctionné comme de nouveaux ciments de l’identité juive à l’époque de mes parents ↩︎
- Merci aux zouzettes: Laïla, Sabine, Joëlle, Déborah, Julia et Eléonore. Et aussi à Myriam et Florence! ↩︎