Diasporisme, identité et transmission : un parcours juif bruxellois

par | Jan 11, 2025 | IdentitéS

Porter l’héritage complexe d’une famille juive marquée par l’exil, c’est naviguer entre des identités multiples et des récits parfois contradictoires. Dans cet article, je partage mon cheminement personnel, du questionnement du sionisme hérité de mon milieu d’origine à mon engagement diasporiste. Une position qui réconcilie attachement à Israël, critique de ses dérives et solidarité avec d’autres diasporas. Le diasporisme, en s’inscrivant dans une histoire plurimillénaire de cohabitations et de persécutions, permet de tisser des liens entre communautés partageant des expériences d’exil, de déracinement et de résilience, tout en refusant les assignations identitaires simplificatrices.

Née dans la communauté juive de Bruxelles, je porte un héritage riche et complexe. Mes parents, sépharades et ashkénazes, ont tous deux fui leurs pays d’origine. Ma mère, marocaine, a immigré avec sa famille en Israël, tandis que mon père, d’origine polonaise, est un rescapé de la Shoah. Leurs histoires s’inscrivent dans une trajectoire de persécutions et d’exil. Mon enfance a été marquée par une immersion dans la vie juive bruxelloise, entre l’école juive orthodoxe Maïmonide, la synagogue de la rue de la Clinique, la colonie Amitié et les mouvements de jeunesse.

Depuis longtemps, je me sens en rupture avec ce qu’est devenu le sionisme. À dix-neuf ans, en 1993, comme d’autres juifs de gauche, j’ai éprouvé un immense espoir en voyant la poignée de main historique entre Arafat et Rabin. Quelques années plus tard, à l’aube des années 2000, alors que je termine mes études de sociologie, je rédige un mémoire sur les transformations des identités juives depuis la création de l’Etat d’Israël. Ce travail me pousse à m’intéresser à la manière dont l’identité peut être mobilisée à des fins politiques, l’exemple de la création du jeune État d’Israël étant un cas d’école. C’est à cette période que je découvre les écrits des nouveaux historiens, qui déconstruisent les récits inculqués dans mon milieu d’origine, symbolisés par la célèbre maxime sioniste : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre. ». Je prends alors conscience que ce qui m’avait toujours semblé légitime — la création d’un refuge pour les juifs persécutés depuis des millénaires — s’est réalisé au détriment d’un autre peuple. 

En janvier 2009, âgée de 35 ans, je me rends en Israël pour présenter mes enfants et mon compagnon à ma famille. Cette visite coïncide avec une guerre en cours, et je suis témoin de l’aveuglement et de l’absence d’empathie de nombreux Israéliens envers les civils palestiniens, qui subissent de lourdes pertes. Cet aveuglement me révolte profondément et m’interroge sur les valeurs que je souhaite transmettre à mes enfants. C’est à la suite de cette expérience que je prends la décision de rejoindre l’UPJB (Union des Progressistes Juifs de Belgique). Ce choix n’a rien d’anodin. Il marque une rupture avec mon milieu d’origine, où cette association non sioniste est souvent diabolisée. Pourtant, l’UPJB devient pour moi un refuge, un lieu où je peux concilier mon engagement politique avec mon identité juive, tout en assumant une position critique et nuancée face aux événements.

Si je ne me reconnais pas dans un sionisme ultra-nationaliste, messianique, suprémaciste, je reste attachée au pays de ma mère, comme n’importe quel enfant issu de l’immigration italienne, marocaine ou portugaise peut l’être envers ses racines. J’aime parler hébreu et garde de nombreux souvenirs en Israël. Pour moi, Israël est un pays comme un autre. J’y ai des cousines qui n’ont d’autre nationalité ni d’autre foyer (et aucune « métropole où retourner »). Je distingue aisément le pays de son idéologie.

Je comprends les arguments de certains de mes ami.e.s qui se définissent comme antisionistes, mais je rejette toute assignation identitaire figée. Les termes « sionisme » et « antisionisme » sont souvent polysémiques et réducteurs. Je ne les utilise plus. Leur instrumentalisation, parfois par des antisémites notoires, mérite d’être dénoncée et la lutte contre l’antisémitisme (à gauche comme à droite) réinvestie.

Le diasporisme comme alternative au sionisme est déjà en soi une façon de se distancier et de s’autoriser à critiquer Israël. A mes yeux, il invite à s’inscrire dans une temporalité plus vaste que celle de la création de l’État d’Israël ou de la Nakba. Être diasporiste, c’est se reconnaître dans une histoire plurimillénaire, marquée par des cohabitations et des persécutions, qui ont façonné les communautés juives à travers le monde. Être juif.ve diasporiste et progressiste, c’est également se sentir proche d’autres diasporas et tisser des liens avec des communautés issues de l’immigration, partageant des expériences d’exil, de déracinement ou de résilience.

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