Ce portrait a été rédigé dans le cadre de la journée internationale de lutte pour le droit des femmes en 2019 pour l’association Convivial
Ketevan, 31 ans, géorgienne.
Une fois passé la porte de Convivial, Ketevan est le premier visage que découvre les réfugiés. C’est elle qui a, avec son collègue Ayad, la responsabilité d’accueillir et d’orienter les réfugiés dans leur parcours d’installation et de reconstruction en Belgique. Ketevan parle arménien, géorgien, russe, anglais, néerlandais et français, ce qui constitue un véritable atout pour accueillir les réfugiés chaleureusement et si possible dans leur langue maternelle. Ketevan n’a pas trop de mal à comprendre le vécu des réfugiés, elle se glisse facilement dans leur peau parce qu’elle a elle-même fait l’expérience de l’exil.
Ketevan grandit à Tbilissi en Géorgie dans les années 90′, ses deux parents sont nés en Géorgie. Sa mère est d’origine arménienne. Son histoire raconte les discriminations subies par les arméniens de Géorgie dans leur quotidien. Petite fille à l’école, Ketevan devait cacher ses origines: « un jour j’ai dit merci à un commerçant arménien qui m’avait gentiment donné une pomme, il m’a dit de ne plus jamais lui parler en arménien, ça m’a marqué. » Elle raconte à quel point sa vie de petite-fille était devenue un enfer » Je ne voulais plus aller à l’école, je pleurais, il y avait des affiches sur les murs avec écrit dessus Arméniens dégagez! Rentrez dans votre pays « . Or, Ketevan n’a jamais rien connu rien d’autre comme pays que la Géorgie et ne comprend pas ce rejet. Elle raconte aussi que sa mère avait du mal à travailler à cause de son origine arménienne. Lassée par tant de discriminations et dans l’absence de perspectives, sa mère décide d’emmener ses enfants en Belgique dans l’espoir d’une vie meilleure.
Ketevan quitte définitivement Tibilissi et sa Géorgie natale en 2000 à l’âge de 12 ans – et avec ce pays tous ceux qu’elle aime, son père, sa grand-mère, ses cousins, ses amis – pour débarquer dans un pays inconnu. De la Belgique, elle ne connait rien et ne parle pas la langue. Elle imagine un pays où elle sera enfin libre et ou elle ne subira plus les moqueries des autres. Une fois arrivée à Bruxelles, un ami de la famille est censé les aider à faire leurs premières démarches en Belgique, la mère et les enfants l’attendront dans l’angoisse de la fermeture de la Gare du Midi un vendredi soir que Ketevan n’est pas prête d’oublier, elle est parcourue de frissons en y repensant: « C’était un vendredi, il était 23h, on ne savait pas où aller, maman était là avec deux enfants et des valises. Normalement, un gars devait nous attendre à la Gare du Midi pour nous guider un peu, nous loger le week-end, ensuite nous devions aller au commissariat le lundi pour demander l’asile. Le problème c’est qu’il n’est jamais arrivé. Je me souviens de maman qui essayait de le joindre tout en cachant son angoisse mais moi je voyais bien qu’elle avait peur d’être là seule dans le noir avec ses deux enfants et même pas de quoi payer une nuit dans un hôtel« . Un hasard mettra sur leur chemin une autre famille originaire de Géorgie qui passait par là, comprend leur désarroi et leur offre l’hospitalité pendant une semaine. Ketevan s’en souvient avec beaucoup d’émotions : « C’est ma deuxième famille, je vais les remercier à vie. Ils nous ont accueillis alors qu’ils ne nous connaissaient même pas, ils nous ont donné à manger, j’ai été dormir dans la chambre de leur fille. Je voyais maman qui souriait, pour moi c’était déjà énorme. Je ne sais pas ce qu’on aurait fait sans eux. »
Une fois la demande d’asile déposée commence leur parcours en Belgique. Ils passeront 6 mois dans le centre fermé de Steenokkerzeel là ou Ketevan et son frère seront scolarisés. Elle apprendra à parler le néerlandais non sans faire l’expérience des moqueries de ses camarades, cette fois ce n’est pas son origine arménienne qui dérange mais le fait qu’elle est étrangère et qu’elle ne parle pas la langue. A sa sortie du Centre, elle sera soutenue pendant 6 mois par le CPAS avant que sa demande ne soit déboutée. Commence alors sa vie de « sans-papiers ». L’école lui annonce qu’elle ne peut plus suivre les cours parce qu’elle est en situation irrégulière. A cette période, elle se retrouve dans un logement à Saint-Gilles (Bruxelles) avec son frère lui aussi privé d’école, sa mère ne sait pas comment elle va parvenir à réunir la somme nécessaire pour payer le loyer mais elle continue à se battre et cherche du travail « elle n’avait pas le choix, elle devait rester forte, je l’entendais dire à tout le monde I need to work « . A l’âge de 15 ans Ketevan va elle aussi commencer à travailler comme femme de chambre pour aider sa mère à joindre les deux bouts. Ensuite, une école secondaire l’accepte mais toujours sans ses papiers, elle à l’autorisation de suivre les cours de langue et n’obtiendra pas le Certificat d’Etudes Secondaires Supérieures (CSS) mais un certificat non reconnu. Elle qui rêvait de devenir médecin accèdera finalement à des études de coiffure toujours sans obtenir le sésame final réservé aux personnes qui ont une existence légale en Belgique.
Ce n’est seulement qu’en 2011, 11 ans après son arrivée en Belgique, après avoir essuyé 3 refus, que sa situation sera régularisée. Une fois régularisée et mariée, Ketevan connaitra une nouvelle forme d’oppression, conjugale, cette fois. Elle finira par divorcer pour se libérer d’un homme maltraitant. Aujourd’hui, elle élève seule ses deux enfants et se sent encore menacée. Quand on lui demande ce qu’elle aurait envie de dire aux autres femmes, elle dit: « Si un homme lève la main sur vous, fuyez parce que s’il l’a fait une fois, il recommencera. On n’a pas besoin d’un homme pour être forte«
A lire aussi, les autres portraits de la série: