Le mellah d’Essaouira : une mosaïque de mémoires

par | Sep 5, 2024 | Maroc

Une histoire millénaire

La communauté juive marocaine, l’une des plus anciennes d’Afrique du Nord, a profondément influencé l’histoire et la culture du pays. Essaouira, autrefois appelée Mogador, en est un exemple particulièrement évocateur. Fondée en 1764 par le sultan Mohammed III, cette ville portuaire a rapidement attiré une importante communauté juive, attirée par les opportunités commerciales et la tolérance religieuse qui y régnaient.

Les Juifs d’Essaouira, originaires de différentes régions du Maroc et d’Espagne, ont joué un rôle clé dans le développement économique de la ville. Actifs dans le commerce maritime, l’artisanat et la finance, leur expertise et leurs réseaux ont contribué à faire d’Essaouira un port prospère et cosmopolite.

Un patrimoine architectural et culturel riche

La présence juive à Essaouira a laissé une empreinte durable sur le patrimoine architectural de la ville. Bien que plus modeste que ceux de Fès ou Marrakech, le mellah1 (quartier juif) d’Essaouira témoigne de cette riche histoire. Ses synagogues, mikvés (bains rituels), demeures traditionnelles et institutions religieuses sont autant de témoins d’une vie communautaire intense.

André Azoulay, un membre éminent de la communauté juive et conseiller du roi, lui-même originaire d’Essaouira, joue un rôle clé dans la préservation de ce patrimoine.

Parmi les lieux les plus emblématiques, on peut citer :

  • La synagogue Haïm Pinto : L’une des plus anciennes synagogues d’Essaouira, elle demeure un lieu de culte et de pèlerinage pour de nombreux Juifs.
  • Le cimetière juif et le tombeau de Rabbi Haïm Pinto : Le célèbre rabbin, figure spirituelle de la communauté juive marocaine, repose ici, attirant chaque année de nombreux pèlerins.
  • L’ancienne école talmudique : Située au cœur du mellah, cette institution était autrefois un centre d’enseignement religieux où de jeunes garçons juifs recevaient une éducation axée sur l’étude du Talmud et des textes sacrés. Bien que ses salles soient aujourd’hui en grande partie désertées, le lieu témoigne de l’importance de l’éducation et de la transmission des traditions dans la communauté juive d’Essaouira.
  • Beyt Dakira : Cet espace culturel, situé dans la médina, incarne l’esprit de coexistence et de tolérance interreligieuse. “La Maison de la Mémoire” retrace l’histoire séculaire de la communauté juive et sa coexistence harmonieuse avec les musulmans. La synagogue du XIXe siècle, rénovée il y a quelques années, est désormais ouverte au public.

Une coexistence harmonieuse et un héritage vivant

Pendant des siècles, Juifs et Musulmans ont vécu côte à côte à Essaouira, dans une atmosphère de respect et de solidarité. Ces deux communautés ont forgé des liens étroits, contribuant ensemble à l’identité singulière de la ville. En 1920, la communauté juive de Mogador à son apogée compte pas moins de 12.000 personnes.

Malheureusement, à l’instar de nombreux autres pays du Maghreb, le Maroc a connu un exode massif de sa population juive dès les années 19482. Aujourd’hui, seuls quelques Juifs vivent encore à Essaouira. Néanmoins, l’héritage de cette communauté y reste profondément ancré.

De nombreux Juifs d’origine marocaine, établis en Israël ou dans d’autres pays, reviennent régulièrement à Essaouira pour renouer avec leurs racines et visiter les lieux saints. Chaque année, la ville organise également des événements culturels pour célébrer ce patrimoine commun.

Un quartier en mutation

Le mellah d’Essaouira, autrefois cœur vibrant de la communauté juive, est aujourd’hui en pleine mutation. Abandonné par ses habitants et en proie à un état de délabrement avancé, ce quartier historique nécessite une intervention urgente. Les bâtiments, fragilisés par les intempéries et un système d’assainissement défaillant, sont menacés de ruine. L’infiltration d’eau de mer et la surpopulation ont aggravé la détérioration du tissu urbain traditionnel.

Face à cette situation critique, les autorités locales ont lancé un vaste programme de réhabilitation. Ce projet vise à préserver ce patrimoine et à redonner vie à un quartier chargé d’histoire.

Au cœur de cette initiative, la synagogue Slat Lkahal occupe une place centrale. Ce lieu de culte, témoin de plusieurs siècles de présence juive à Essaouira, est aujourd’hui en ruine, comme une grande partie du mellah. Sa situation géographique à l’entrée du quartier en fait un symbole puissant et un lieu de mémoire qui mérite d’être valorisé.

Ci-dessus: le mellah d’Essaouira en pleine mutation – juillet 2024

Conclusion

L’histoire de la communauté juive à Essaouira constitue une page majeure du patrimoine marocain. Elle incarne une longue tradition de coexistence et de métissage, tout en rappelant les bouleversements historiques qui ont marqué cette région. Cet héritage, malgré les défis qu’il affronte aujourd’hui, continue de vivre à travers la mémoire collective et les efforts de préservation.

En savoir plus?

Sidney S. Corcos, La communauté juive de Mogador-Essaouira, Immigrations et émigrations, recherche généalogique et onomastique.

  1. Le mot “mellah” (en arabe : ملح) désigne traditionnellement le quartier juif dans les villes médiévales et modernes du monde arabo-musulman. L’origine du mot “mellah” est sujette à débat. Certaines théories suggèrent qu’il pourrait provenir du mot arabe pour “sel”, en référence à la purification rituelle par le sel, ou à l’importance du commerce du sel dans certaines régions. ↩︎
  2. La création de l’État d’Israël en 1948 incite aux départs, dont le nombre ira croissant. En 1968, il ne reste plus que 400 juifs à Essaouira. En 1990, on trouve cinq juifs seulement, et aujourd’hui il n’en reste plus que deux. ↩︎

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