Léon, le dernier des juifs de Tétouan

par | Nov 7, 2024 | Maroc

Cet été, lors de mon séjour à Tétouan, j’ai eu la chance de visiter la synagogue Isaac Ben Walid, une expérience qui restera gravée dans ma mémoire, car c’est là que j’ai rencontré Léon Bentolila, un juif tétouanais de toujours. Ce jour-là, la baraka m’a souri. En effet, il n’y a pas d’horaires fixes pour visiter la synagogue. Un policier est posté devant l’entrée, mais il ne détient pas les clés. Il faut vraiment avoir la chance de tomber sur Léon, qui, seul, peut ouvrir la porte et faire découvrir ce lieu précieux. 

Léon m’a accueillie avec bienveillance. Il m’a plongée dans le passé révolu de cette petite communauté qui faisait jadis battre le cœur de Tétouan. À 84 ans, Léon est l’un des derniers Juifs de la ville. Ses enfants et ses petits-enfants vivent à Malaga, en Espagne, et il ne sait pas encore s’il les rejoindra ou s’il restera ici, fidèle à la terre de ses ancêtres. 

Dans le silence de la synagogue, il m’a raconté l’histoire des juifs de Tétouan, m’a montré la très ancienne Torah, l’ancien mikvé et le four à matza, tandis que sa voix résonnait entre les murs chargés de souvenirs. Il m’a parlé en espagnol, héritage du protectorat espagnol, qui a laissé son empreinte sur la ville. Avec émotion, il m’a évoqué les jours où les voix de la communauté s’élevaient dans les seize synagogues de Tétouan, et où les rues du mellah vibraient au rythme des fêtes juives et des prières.

Autrefois, Léon n’était pas seulement un homme de foi, mais aussi un commerçant prospère. Lui et sa femme avaient trois magasins à Tétouan, des commerces qui étaient au cœur de la vie économique de la ville. Je lui ai demandé s’il se sentait bien comme juif au Maroc, et il m’a répondu : « Mes voisins sont comme des frères et sœurs », cela peut paraître cliché mais je ne m’y attendais pas, à cet instant, je n’ai pas pu retenir mes larmes. En pleine période de violences et de tensions au Moyen-Orient, me retrouver face à ce vieil homme, qui n’a jamais quitté le Maroc et qui parle positivement de ses relations avec ses voisins musulmans, m’a totalement bouleversée. 

Léon m’a aussi confié des préoccupations concernant la gestion des affaires communautaires, notamment le cimetière de Tétouan (dont j’ai parlé dans un précédent billet). Ce lieu sacré, qui abrite plus de 35 000 tombes, représente un véritable trésor de mémoire. Mais il semble que certains membres de la communauté, moins consciencieux que lui, soient davantage intéressés par l’argent qu’il génère que par sa préservation. Le regard de Léon s’est assombri en évoquant cette situation. Pour lui, les lieux juifs de Tétouan, dont la synagogue et le cimetière, doivent être protégés au-delà des enjeux financiers.

Aujourd’hui, il est devenu de plus en plus difficile pour Léon de réunir les dix personnes nécessaires pour le minyan, le quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes. Il reste à peine dix Juifs à Tétouan, presque tous âgés. Pourtant, malgré cette réalité, Léon continue de préserver ce lieu avec une dignité inébranlable. Il veille sur la synagogue, dernier vestige d’une époque où Tétouan était surnommée la « Petite Jérusalem ».

En franchissant le seuil de la synagogue une dernière fois,  j’ai regardé Léon, ses clés en main, une question s’est imposée: qui après lui pour maintenir ce flambeau?  L’émotion qui m’avait envahie tout au long de la visite prenait alors tout son sens : j’avais, peut-être, vu le dernier des Juifs de Tétouan.

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