Propos recueillis par Sharon Geczynski, photographies de Rozenn Quéré pour le magazine Amour & Sagesse.
Noël Godin, plus connu sous le pseudonyme de « L’Entarteur » ou de “Georges Le Gloupier”, est bien plus qu’un simple trublion facétieux. Cinéphile passionné, grand amateur de littérature subversive, figure de proue de l’activisme joyeux, anarchiste espiègle, écrivain, réalisateur, comédien, il s’est illustré par ses farces politiques, utilisant la tarte à la crème comme arme ludique contre les « pompeux cornichons » : élites politiques, médiatiques et culturelles. À 79 ans, il reste l’un des symboles incontournables de la résistance humoristique en Belgique. En plein déménagement, il nous a accordé un long entretien dans sa nouvelle tanière, nous ouvrant généreusement les portes de son univers unique.
Né le 13 septembre 1945 à Liège, Noël Godin habite à Saint-Josse depuis plus de trente ans. La maison à étages dans laquelle il vivait avec sa compagne Sylvie lui étant devenue difficilement accessible -la maladie de Parkinson ralentit et complique ses mouvements et aujourd’hui il se déplace en fauteuil roulant- ils ont emménagé dans un logement de plain-pied non loin de leur ancienne adresse. En entrant chez eux, on est immédiatement frappé par l’omniprésence des livres et les nombreuses caisses éparpillées au sol qui attendent d’être vidées. Cela fait en effet quatre mois que Noël, sa compagne et ses amis fidèles s’affairent à transporter vers leur nouveau refuge ces centaines de caisses de livres, véritable trésor à classer avec minutie. «Ma bibliothèque est une extension de moi-même », confie Noël avec un sourire en coin. Le défi est de taille : sa collection sur les révoltes est immense et chaque volume doit retrouver sa place, organisé selon un ordre alphabétique strict, dans des thématiques aussi variées que révélatrices : la révolte à travers le monde (avec une large place accordée au Chiapas), la révolte à travers le temps (la Commune et les Jacqueries de tous styles), le théâtre de combat, la poésie sulfureuse, les utopistes, le sabotage, les surréalistes, les pétroleuses (dont sa préférée, Valérie Solanas), les situationnistes (les pré-situ, les situ et les post-situ), les pirates, les brigands au grand coeur, l’humour féroce, la résistance, la désobéissance, la lutte armée, la contre-culture, les fictions subversives, les pamphlets… Autant de sujets révélateurs sur ce qui anime Noël Godin depuis toujours.
Noël a pris goût à la lecture sur les bancs de l’école : « Quand j’étais petit, mes compagnons de classe jouaient au football durant la récré, mais moi je refusais de mettre un doigt de pied dans la cour. Je regardais ce spectacle avec un grand mépris. Je hais le football et toutes les formes de sport. Je lisais déjà beaucoup, mais je n’étais pas misanthrope pour autant, je pouvais jouer à d’autres jeux que les jeux de ballons. » Malgré la maladie qui fige parfois ses expressions, ses yeux pétillent d’une espièglerie enfantine, preuve que son esprit frondeur reste intact. Comme il le dit lui-même : « Je nargue les désagréments de la maladie autant que possible. »
Si j’avais le pouvoir de ressusciter quelqu’un dans l’histoire du monde et sur cette planète de merde, c’est Desproges qui décrocherait le pompon.
Son déménagement en bande organisée raconte aussi la place qu’il a toujours accordée à l’amitié, la tendresse et la complicité: « C’est précisément ce qui manquait chez les contestataires les plus dévastateurs que j’ai fréquenté en mai 68. A cette période, j’ai eu l’occasion de me promener dans les divers courants (politiques) les plus radicaux. Sur le plan affectif, ça manquait de vrais rapports transparents et superbes ». Noël Godin se rattache au situationnisme, un mouvement contestataire philosophique, esthétique et politique des années 1960. Comme son ami Julien Coupat, qui selon ses mots est “dans le droit fil” (il n’aime pas le vilain mot « d’héritier ») de ce courant. Dans sa galaxie amicale, il cite aussi Robert Dehoux et sa technique de bouchage de serrures de banque avec des allumettes, Benoît Delépine et Gustave Kerven, Édouard Baer, Benoît Poelvoorde, ou encore l’humoriste Pierre Desproges, aujourd’hui décédé, dont il n’a rien oublié des spectacles hilarants de ses débuts : « On s’est bien marrés avec lui, j’ai dit plus d’une fois que si j’avais le pouvoir de ressusciter quelqu’un dans l’histoire du monde et sur cette planète de merde, c’est Desproges qui décrocherait le pompon. Il était impossible de ne pas s’étrangler de rire à tout moment en le fréquentant. Je suis allée le voir à Paris lors de son premier spectacle qui s’intitulait Ah qu’elle était verte ma salade qu’il jouait avec Evelyne Grandjean. Je pense qu’il serait au cabanon à l’heure actuelle ».
Parmi ses nombreux auteurs de prédilection, on trouve Charles Fourier, son utopiste de chevet, avec son livre Le Nouveau monde amoureux, qui prône une société festive et ludique : « Il a écrit le plus beau livre du monde de toute l’histoire du livre de combat. Il propose de tout réinventer en déployant toute son imagination, de ne pas abolir la guerre mais de faire en sorte qu’elle continue sur la base de petits pâtés à la crème, je trouve cela inouïment justifié ». Car pour Noël Godin, la révolte doit être joyeuse: « Les guérillas politiques sont tellement rigides en général, il y a une absence effarante d’humour dans les mouvements se voulant des plus libérateurs, à nous d’essayer d’injecter un peu d’esprit de rigolade dans tous les affrontements et tant pis si ça ne plaît pas à tout le monde. Je me sens proche de Guillaume Meurice, l’humoriste récemment viré de France Inter, il est sur des positions qu’on ne peut absolument pas soupçonner de racisme. Je tiens très fort à le hurler sur tous les toits ».
D’autres, par contre ne trouvent plus grâce à ses yeux : « Il ne faut rien laisser passer, il y a certains penseurs qui à leur époque ont tenu des propos racistes et sexistes, certains s’en sont excusés par la suite, d’autres pas, cela m’a amené par exemple à renier Proudhon ou Blanqui ». Et parmi ceux qui ont mal tourné selon lui, il y a aussi des auteurs comme Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut dont il a hautement apprécié les livres à une certaine époque. Il frémit quand il entend le nom de Michel Onfray qui lui avait proposé d’écrire à quatre mains la biographie de son hors-la-loi favori, le cambrioleur justicier Marius Jacob, qui a par ailleurs inspiré le romancier Maurice Leblanc pour le personnage d’Arsène Lupin (bien avant la série !).
La tarte à la crème est un langage universel, un Esperanto du rire.
Quant à ce qui lui a donné envie de balancer une tarte pour la première fois sur la tête de quelqu’un ? « Je n’ai pas trouvé de méthode plus excitante que celle-là. C’est mieux que des oeufs, c’est mieux que des tomates, du foin ou des épluchures de patates. En fait rien ne vaut les bons vieux attentats pâtissiers qui nous ont été transmis par les films burlesque de Laurel et Hardy et de Mack Sennett, dans lesquels il y a énormément de combats à la crème chantilly ». Il s’inspire également des cartoons comme Bip Bip et Coyote, les seules idoles qu’il se reconnaisse, ou Bugs Bunny. Pour lui, la tarte à la crème est un langage universel, un « Esperanto du rire », capable de toucher tout le monde et de provoquer l’hilarité. L’entartage, à ses yeux, est à la fois un geste artistique et politique, une manière de pointer du doigt les puissants et les vaniteux tout en invitant à la réflexion par le rire : « La tarte à la crème, c’est rigolo et symbolique. L’attentat Gloup Gloup, ça parle à tout le monde, tout le monde comprend. Et puis, il nous apparaît très sagace de démontrer qu’avec des petits gâteaux de rien du tout on peut faire trembler les puissants de ce monde. Aujourd’hui, j’aurais envie d’entarter tous les hommes d’état sans exception, ils sont tous horribles, à gauche, à droite et au centre encore plus. »
Humour, amitié, combat… Lorsqu’on demande à Noël Godin s’il aimerait refaire certaines choses différemment, il nous répond par la négative : « J’ai de la chance, je n’ai quasi aucun remord, je me suis trouvé assez vite emporté par des ouragans affectifs et rebelles. Je n’ai pas eu l’occasion de passer à travers des trahisons d’amis ou des choses négatives. Je suis vite tombé sur des garçons et des garçonnes de première qualité : généreux.ses et audacieux.ses ».
Avant que nous le quittions, il tient à lancer un appel : en grand cinéphile, s’il va encore au cinéma – là où il y a des tapis roulant pour handicapés, et grâce à Taxibus qui le conduit n’importe où pour 2€, bon plan ! – il possède également une collection impressionnante de films en cassettes vidéos avec un catalogue à l’appui. Il ne pourra malheureusement pas rapatrier cette collection dans sa nouvelle maison et propose de l’offrir à une association de doux-rêveurs que sa collection pourrait enchanter. Alors, si cela vous intéresse, contactez-nous, nous transmettrons !
Liste des entartements
11 novembre 1969 Marguerite Duras (écrivain), au Challenge des cinémas d’art et d’essai de Louvain.
décembre 1969 Maurice Béjart (chorégraphe), au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles.
mars 1970 Henri Guillemin (historien catholico-marxiste), au complexe du Barbou de Liège.
mai 1976 Marco Ferreri (cinéaste), au Grand Hôtel de Cannes.
12 mai 1985 Jean-Luc Godard (cinéaste), au Palais des Festivals de Cannes.
13 novembre 1985 Bernard-Henri Lévy (philosophe), au Palais des Congrès de Liège.
17 janvier 1987 Édouard Poullet (ministre belge des Affaires sociales et de la Culture), à l’inauguration du « Résidence Palace » de Bruxelles.
25 septembre 1988 Jean Delannoy (cinéaste), à l’Auditorium Shell de Bruxelles.
3 octobre 1988 Bernard-Henri Lévy (philosophe), à la libraire “Chapitre Douze” de Bruxelles.
17 avril 1991 Bernard-Henri Lévy (philosophe), à l’Université Libre de Bruxelles.
26 mai 1991 Jerry O’Dell (télévangéliste), à l’Auditorium Shell de Bruxelles
25 mai 1993 Alain Bévérini (présentateur télé), en plein 20 heures de TF1.
15 juin 1993 Vladimir Volkoff (dramaturge), sur le plateau de « Durand la Nuit » de FR2.
9 décembre 1993 Patrick Bruel (chanteur), à l’Hôtel Amigo de Bruxelles.
14 mai 1994 Bernard-Henri Lévy (philosophe), au Palais des Festivals de Cannes.
5 juin 1994 Jean-Pierre Elkabbach (directeur de télévision), à Roland-Garros.
4 mars 1995 Hélène (chanteuse), sur la scène de Forest-National, à Bruxelles.
24 mars 1995 Pascal Sevran (présentateur de télévision), sur la Grand-Place de Bruxelles.
20 mai 1995 Philippe Douste-Blazy (ministre français de la culture).
22 mai 1995 Bernard-Henri Lévy et Arielle Dombasle (actrice), à l’aéroport de Nice.
3 avril 1996 Patrick Poivre D’Arvor (présentateur de télévision), pendant son jogging matinal, à Neuilly.
20 mai 1996 Daniel Toscan du Plantier (producteur), au Festival de Cannes.
8 septembre 1996 Evêques officiant à la Cathédrale St Pierre de Nantes.
3 février 1997 Nicolas Sarkozy (ministre français), au Palais des Congrès de Bruxelles.
4 février 1998 Bill Gates (maître du monde), devant le « Concert Noble » de Bruxelles.
29 mai 1999 Le public du Concours Reine Elizabeth, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
27 février 2000 Bernard-Henri Lévy (philosophe), à la Foire du Livre de Bruxelles.
7 avril 2000 Congrès patronal « De l’intégration économique à l’intégration monétaire » au Château Champlain de Montréal.
12 juin 2001 Benjamin Castaldi (animateur de « Loft Story »), en face des locaux d’Europe n°1 à Paris.
24 mars 2002 Jean-Pierre Chevènement (ex-ministre de l’Intérieur français), au Salon du Livre de Paris.
8 mai 2002 Jean-Claude Martinez (secrétaire du Front National) et Karen Dillen (Fondateur – animateur du Vlaams Blok), au Parlement européen de Bruxelles.
12 avril 2003 Jean Charest (1er Ministre du Québec), à Blainville (près de Montréal).
18 mars 2006 Bernard-Henri Lévy (philosophe) au Salon du Livre de Paris.
10 juillet 2007 Doc Gynéco (rappeur sarkozyste) à l’émission « Village départ » de FR3. Tour de France (étape Waregem).
11 octobre 2013 Mgr André-Joseph Léonard (Monseigneur) au Collège Saint-Michel de Bruxelles.
30 mai 2015 Bernard-Henri Lévy (philosophe) à l’Église Saint-Loup de Namur.
7 septembre 2023 Michael O’Leary (CEO Rynair) devant l’Union Européenne.