Quand l’amour questionne les héritages

par | Juin 6, 2015 | IdentitéS

Atelier « Couples mixtes » – Festival How Do You Jew, 2015

Ils étaient une quinzaine, peut-être vingt. Âgés de 28 à 60 ans, venus en couple ou seuls, en tant qu’enfants ou parents de couples mixtes, ou simplement comme témoins engagés. Ce jour-là, en 2015, dans le cadre du festival How Do You Jew, ils ont pris le temps de se dire. D’interroger ce que signifie transmettre, appartenir, aimer au-delà des lignes tracées. Un moment rare, à hauteur d’hommes et de femmes.

Contexte
Cet atelier s’inscrivait dans une démarche participative et exploratoire : proposer un espace de parole autour de la question des couples mixtes dans les milieux juifs. Les participant·es ont échangé à partir d’un texte introductif (écrit par l’animatrice de l’atelier), à mi-chemin entre récit personnel et réflexion sociologique. Ce compte-rendu rassemble leurs paroles, dans leur diversité brute. Il ne vise pas l’exhaustivité ni l’objectivité, mais donne à entendre une polyphonie sensible autour de la judéité, de la mixité, et des transmissions multiples.

« Qui est juif ? »

Une question ancienne, toujours vive. En arrière-fond : la halakha, les courants réformistes, les critères de la loi du retour en Israël… et, à l’autre extrême, les définitions meurtrières des nazis. Mais dans la parole des participant·es, la question se glisse ailleurs : dans l’intime. Elle surgit au moment de nommer ses enfants, de partager des fêtes, d’expliquer une histoire.

« Est juif celui dont les enfants sont juifs » – cette phrase attribuée à David Susskind est revenue plusieurs fois. Pour beaucoup, la judéité est d’abord une affaire de transmission.

Portraits croisés (extraits)

A., 60 ans, évoque la transmission comme condition de la judéité :

« Est juif celui dont les petits-enfants sont juifs. La laïcité, parfois, sert de cache-misère à l’ignorance. Ce n’est pas une question de foi, mais de culture. »

J., 39 ans, partage les mots de son compagnon non-juif :

« Est juif celui dont les enfants sont juifs… Donc moi aussi, je suis un peu juif. »

V., 42 ans, rappelle les implications concrètes des règles religieuses :

« Se sentir juif ne suffit pas si on veut se marier à la synagogue. »

L., 55 ans, réformiste :

« Le judaïsme n’est pas figé. Il y a mille façons de le vivre. »

B., 57 ans, interroge l’obsession de l’appartenance :

« Le vrai sujet, c’est : à quel club cotisez-vous ? Moi, je choisis l’humanisme. »

Et que transmet-on, dans un couple mixte ?

Quand ni l’un ni l’autre n’est pratiquant, quand les repères ne sont pas partagés, que choisit-on de transmettre ? Et que laisse-t-on à l’enfant, entre identités mêlées et récits d’origine ?

S., 41 ans, dit son malaise face à la solitude de la transmission :

« En Belgique, la culture majoritaire s’impose d’elle-même. Si je ne transmets pas ma culture juive, personne ne le fera à ma place. »

J., 39 ans, insiste sur une éducation « mixte assumée » :

« Mieux vaut la complexité assumée que le rejet brutal à 18 ans. »

A., 40 ans, compagnon non-juif :

« Les mots sont trop étroits. Ce que je transmets, je n’arrive pas toujours à le nommer. »

L., 55 ans, interroge la dynamique dans les couples :

« Le père se dit que ses enfants sont juifs. Alors est-il plus juif que la mère ? »

De l’intime au collectif

A., 60 ans, introduit une lecture sociologique :

« On observe une tendance très marquée : devoir et plaisir. Premier mariage avec une femme juive, puis divorce, puis remariage avec une non-juive. »

Il élargit aussi la focale :

« Les juifs ne sont pas une exception. Les Grecs, les Tziganes, les Arméniens aussi s’inquiètent du « Xénos ». »
Et conclut :
« L’individu aime qui il veut. Le collectif, lui, craint de se dissoudre. »

J., 28 ans, clôt cet échantillon de voix avec sérénité :

« Nous sommes cinq frères et sœurs, tous élevés entre l’église et les voyages en Israël. Chacun a trouvé son propre équilibre. Les questions restent, mais on va bien. »

Épilogue
Il n’est pas de réponse unique, pas de dogme ici. Seulement des récits, des tensions, des mots lancés comme des bouées ou des passerelles. Cet atelier n’a pas tranché. Il a ouvert un espace, où chacun·e pouvait dire « je », avec tout ce que cela comporte d’héritage, de choix, de doutes – et d’amour.

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