La projection du documentaire Belle de Gaza de Yolande Zauberman a été déprogrammée du festival belge Cinemamed sous la pression de militants pro-palestiniens. Ce film français retrace l’histoire d’une femme transgenre palestinienne fuyant Gaza pour Tel-Aviv, où elle espère vivre librement. Bien que non israélien, le film a été critiqué pour avoir été partiellement réalisé en Israël et pour inclure des dialogues en hébreu. Ces éléments ont suffi à susciter des accusations de « pinkwashing » – l’utilisation des droits LGBTQ pour redorer l’image d’Israël – et de promotion d’un « récit colonial génocidaire ».
Cinemamed, qui promeut des films des régions méditerranéennes, a expliqué que cette annulation visait à éviter des perturbations et à préserver le bon déroulement du festival, tout en affirmant ne pas partager les accusations portées contre le film. La réalisatrice Yolande Zauberman a souligné, pour sa part, que son intention n’était pas de valoriser Israël, mais de documenter une réalité où les droits des personnes LGBTQ diffèrent radicalement entre Gaza et Tel-Aviv.
Je suis choquée par cette décision pour plusieurs raisons.
D’abord, il ne s’agit pas d’un film israélien. Belle de Gaza est un film français qui aborde la transidentité dans une région du monde où ce sujet est tabou. Bien sûr, on ne peut ignorer le contexte tragique de Gaza, avec ses dizaines de milliers de morts. Cependant, ce film, à mon sens, ne relève pas d’un boycott tel que défini par la campagne BDS, que je soutiens lorsqu’elle est dirigée vers des cibles pertinentes.
Ensuite, je suis opposée au boycott qui vise les artistes sur un plan individuel . Critiquer une œuvre ou une démarche artistique est légitime. Ce qui me semble problématique dans ce cas précis, c’est de suspecter une allégeance implicite à l’État d’Israël. L’artiste en question n’est pas israélienne. Or, je ne peux m’empêcher de penser que si Yolande Zauberman n’était pas juive, ce film n’aurait pas été boycotté. En outre, selon quels critères juge-t-on les artistes israéliens ou leurs œuvres ? Je connais des artistes israéliens profondément révoltés par les crimes commis “en leur nom” en Israël-Palestine. Ils méritent d’être soutenus, pas rejetés en bloc.
Enfin, je connais l’œuvre de Yolande Zauberman. Nous l’avions invitée à l’Union des Progressistes Juifs de Belgique pour la sortie de son film Would You Have Sex with an Arab?. Son travail témoigne d’une sensibilité politique et artistique complexe, bien loin d’une quelconque apologie inconditionnelle de l’État israélien.
Je suis épuisée par ces procès d’intention permanents. Je ne veux pas utiliser le terme “antisémitisme” à la légère, car il est lui-même trop souvent instrumentalisé. Mais oui, je ressens une assignation implicite : il faudrait être un “bon Juif”, conforme à une ligne propalestinienne, antisioniste et décoloniale. Sortir de ce cadre vous expose à des accusations de “sionisme de gauche” – une étiquette qui, aujourd’hui, sonne comme une insulte, comme si le monde se séparait entre deux catégories de personnes : les gentils antisionistes et les méchants sionistes.
Peut-on sortir de ce binarisme ? Ce qui m’a toujours animée, ce sont les questionnements et les doutes. Aujourd’hui, plus que jamais, je veux refuser les réponses simplistes et continuer à explorer les nuances. Et ce positionnement ne m’a jamais empêchée de condamner fermement la politique génocidaire du gouvernement israélien, responsable de 45 000 morts, dont la majorité sont des femmes et des enfants. Pas un jour ne passe sans que j’y pense. Dire cela haut et fort m’expose à des sanctions de la part de ma famille, de mes proches et d’une partie de la communauté juive, qui refusent d’ouvrir les yeux.
Pour en savoir plus, je vous invite à découvrir l’article de Jean Vogel, rédigé en 2018, mais qui demeure d’une grande pertinence et actualité : En débat : propos hérétiques sur le Boycott-désinvestissement-sanctions (BDS) envers Israël