Un atelier sur les couples mixtes dans le cadre du festival How Do You Jew (2015)
Entre 15 et 20 participants de tout âges, hommes et femmes ont donné leurs points de vue sur les couples mixtes après la lecture du texte ci-dessus. Tous concernés. En couple mixte, enfants de couple mixte, grands-parents de petits enfants de couple mixtes. Les âges des personnes présentes sont approximatifs mais il m’a semblé intéressant que les lecteurs puissent en avoir une idée. C’est volontairement un peu « brut », le petit échantillon et le matériau qualitatif ne permettant pas de faire des généralités.
- Qui est juif ?
A la question qui est juif ? Plusieurs réponses sont possibles selon que l’on prenne comme référence l’un ou l’autre courant du judaïsme (orthodoxe ou réformiste). Sans oublier les autres tiers qui donne ou ont donné une définition politique de l’identité juive (l’Etat d’Israël dans ses limites aux bénéficiaires de la loi du retour mais aussi les nazis dans leur stratégie d’extermination du « peuple juif »). L’idée dans cet atelier n’était sûrement pas d’y répondre (si tant est qu’il y ait une réponse) mais il est intéressant de constater que lorsqu’il est question d’identité(s), de mixité et de transmission, cette question occupe beaucoup de place. Plusieurs participants ont évoqué la fameuse phrase attribuée à David Susskind: « Est juif celui dont les enfants sont juifs ». Pour la plupart des participants, la judéité est avant tout une question de transmission.
A. 60 ans : David Susskind qui a repris la phrase de Shimon Peres donne la définition sociologique du juif qui transmet ». Pour A., connaître sa propre culture mais aussi celles des autres est primordiale : « il y a de longues années un copain m’a dit : tu viens à la manifestation de soutien aux arméniens ? Je lui ai répondu : Marc est-ce que tu parles cinq mots de la langue arménienne ? Non me répondit-il. Bon, il serait peut-être plus utile que tu apprennes cinq mots d’arménien plutôt que d’aller à une énième manifestation. ». L’importance accordée à la transmission lui fait dire qu’« est juif celui dont les petits-enfants sont juifs ». Selon lui, la laïcité est souvent un prétexte pour l’ignorance « Que chaque juif pratique ou pas, j’en ai rien à cirer. Mais quand tes petits enfants juifs diront le mot Hanoukka, Brith Mila, j’aimerais qu’il sache ce que ça veut dire ! Cette transmission là existe. Voilà. ». Enfin, il distingue transmission culturelle et pratique de la religion : « Quand un libre-penseur (ou pas) entre dans un musée ou dans une église, il voit une descente de croix ou une ascension, il comprend culturellement de quoi il s’agit. Quand le New-York times parle de Bar-Mitsva, de Brith Mila ou de Hanoukka, il n’y a pas de notes en bas de page pour expliquer ce que ça veut dire, dans Regards oui, et ça me fait chier ! ».
J. 39 ans: « C’est vrai qu’on se dit qu’on a réussi dans notre judaïsme en transmettant quelque chose à nos enfants et petits-enfants ». Elle explique que son compagnon va un cran plus loin, en envisageant « la judéité à rebrousse-poil ». « Mon compagnon m’a dit mais en fait ce n’est pas du tout ça la signification de cette phrase (est juif celui dont les enfants sont juifs), la signification de cette phrase, c’est qu’il faut la prendre à rebrousse-poil : est juif celui dont les enfants sont juifs. Et donc dès lors que mes enfants sont juifs, je suis juif parce que tu es juive et parce que notre fils a été circoncis. En fait, moi catholique d’origine flamande, rien à voir avec le judaïsme, en fait je suis un peu juif. Je vais à Beth aviv (école juive) tous les matins, mes enfants ont été à la crèche du CCLJ. En fait ça déteint sur moi. Et donc il y a une transmission inversée (à rebrousse-poil). »
V. 42 ans: fait remarquer qu’il y a tout de même un jugement halakhique qui porte a conséquences pour celui qui souhaite pratiquer la tradition: «Par exemple quelqu’un qui se considère comme juif pourrait ne pas être autorisé à se marier à la synagogue et ça ça pose un problème pratique. »
L. 55 ans qui se définit comme juif pratiquant du courant réformiste (Chir Hadash) lui répond : « il y a de gros problèmes pratiques mais il faut savoir que le judaïsme n’est pas unique et invariable. Il y a déjà des variations entre toutes les communautés ashkénazes, sépharades, mizrahims et éthiopiens. Le judaïsme est l’ensemble de toutes les tendances du judaïsme et il y a des tendances qui ont pris à cœur ce problème pour que tout le monde puisse vivre en harmonie parce que ce qui est important c’est de pouvoir cultiver quelque chose sans qu’un jour quelqu’un vous dise que vous êtes quelque chose et que vous n’avez pas pu en profiter. Moi je vis le judaïsme pour le meilleur comme ça le jour où c’est pour le pire ben j’aurais eu le meilleur ! »
S. 50 ans: « Moi non plus mes enfants ne sont pas juifs selon la halakha, moi j’ai épousé une chrétienne mais tout dépend des courants, pour le courant Massorti, mes enfants sont considérés comme juifs donc c’est aussi pour ça que je suis ce courant là mais effectivement ça pose des problèmes. Mon fils est circoncis, mes enfants se considèrent comme juifs, ils vont dans des écoles juives mais leur maman n’est pas juive. Il y a une chose sur laquelle on a toujours été d’accord c’est que nos enfants soient éduqués dans le judaïsme. »
B. 57 ans: « A chaque fois que la question se pose, c’est comme s’il y avait un problème. Or, il est où le problème ? Qui se soucie qu’on le soit ou pas. En général, c’est quelqu’un qui veut savoir si on fait partie du cheptel ou pas. Et quelqu’un qui se définit en dehors du cheptel, ça terrorise. Or du coup c’est toujours l’estampille, l’appartenance, à quel club tu cotises quoi ?! Comme si être en dehors c’était problématique. Bon moi je suis juif, j’ai grandi au Maroc, j’ai souvent été en dehors et je me sens très bien en-dehors, être un étranger ça me paraît normal. Par contre le repli identitaire autour d’une estampille, j’ai un problème parce que moi je n’aime pas être enfermé dans des bocaux et au nom de n’importe quel idéologie, je ne peux pas me sentir enfermé. Du coup je préfère être dans l’ombre plutôt que d’appartenir à un groupe mais ça ne veut pas pour autant dire que je suis sauvage et que je ne veux parler à personne. Mais humain, ça me paraît la seule chose à laquelle on peut s’identifier de manière universelle. Que les juifs se soucient de l’humanisme, qu’ils soient empathiques, ce n’est pas un hasard si il y a bcp de photographes juifs. A travers des questions identitaires, on cherche à savoir qui sont les autres et bcp de photographes cherchent à savoir qui sont les autres à travers leur objectif. »
- Quelle transmission ? Quelles identités transmettre à ses enfants?
Que transmet-on lorsqu’on se définit comme un couple mixte, que l’on n’est (ni l’un ni l’autre) pratiquant ? Que transmet-on lorsque que l’on partage sa vie et que l’on élève des enfants avec un conjoint non juif qui se déclare athée
S. 41 ans:
« Il y a comme un besoin ou une injonction à transmettre qui vient des famille ou du milieu juif. Je ne sais pas si cette injonction est aussi importante chez tout le monde… Peur de couper les liens, peur de disparaître ? Je pense moi qu’effectivement c’est plus intéressant pour les enfants de pouvoir s’identifier à leurs deux parents. Je me suis posée ces questions, j’ai eu envie que mon compagnon s’y retrouve même si j’ai pu constater qu’il n’avait pas la même ardeur à transmettre que moi… Moi je me sens plutôt mal à l’aise avec l’idée d’être la seule à transmettre. Mais en fait je ne suis pas la seule à transmettre mais peut-être la seule à en ressentir (autant) le besoin ? Etre juif en Belgique, c’est aussi faire partie d’une minorité. Mon compagnon est belge et nous sommes en Belgique. A priori l’histoire de la Belgique fait partie des programmes d’enseignement, la culture (belge) est partout. Si moi je n’enseigne pas ma culture (juive) à mes enfants, personne d’autre ne le fera à ma place. Que se passerait-il si nous partions dans un autre pays ? Peut-être serions-nous plus amenés à transmettre notre belgitude ! »
A. 60 ans:
Voici quelques données statistiques intéressantes qui valent le commentaire, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, il est beaucoup plus fréquent qu’un homme juif épouse une femme non-juive que l’inverse. La différence statistique est énorme. L’autre donnée, il y a une étude américaine qui date d’il y a 5 ou 6 ans de l’American Jewish Congress qui a été vite enterrée (vous allez comprendre pourquoi, j’en ai eu connaissance par hasard). Typiquement dans l’Etat de New-York, les hommes juifs d’un niveau universitaire épousent une femme juive, lui font un, deux ou trois enfants, divorcent, puis épousent une femme non-juive. C’est un trends extrêmement significatif : le Devoir et puis le Plaisir. L’inverse est très rare.
A. 60 ans : Je crois qu’il faut étudier la question de manière tout à fait différente d’un point de vue macrosociologique où là toutes les minorités, les arméniens, les tziganes, les grecs. Vous avez tous vu le film « Le grand mariage grec ». C’était un désastre quand la fille veut épouser un Xénos (un étranger, un non-grec). Idem pour les arméniens et les tziganes. Là les juifs ne se distinguent pas des autres minorités. Et d’un point de vue microsociologique, du point de vue individuel, personne ne peut dire non non non, il n’est pas juif donc je ne l’épouse pas. Deux perspectives totalement différentes à distinguer.
J. 39 ans: « Je suis avec quelqu’un qui n’est pas juif et j’ai des enfants qui sont « point d’interrogation ». Je dis point d’interrogation parce qu’on parle bcp ici d’identité juive mais pour nous au sein de notre couple on a défini nos enfants come ayant une identité mixte et c’est très important pour nous que l’identité soit mixte. Je ne l’ai pas compris tout de suite mais au fil des discussions cela m’a paru très important. Pour moi, ils ont une identité juive, pour lui ils ont une identité qui ne doit pas être que juive. Pourquoi ? Parce que si on les éduque que dans le judaïsme ou que dans le catholicisme quand ils sont petits, à 18 ans ils risquent d’avoir un revers de bâton et de rentrer complètement en réaction à l’une ou l’autre identités. Là je me suis dit que ce serait bien que ce soit plutôt mixte, au moins je n’ai pas de mauvaises surprises à 18 ans. Donc pour nous c’est important qu’il y ait cette mixité. »
A. 40 ans: « moi je suis de culture catholique mais athée. C’est vrai que je ressens que la culture catholique si elle n’est pas religieuse, elle est beaucoup moins forte que la culture juive. Il y a une mémoire qui se transmet beaucoup plus. Donc moi finalement ma culture catholique, je ne la transmet pas réellement, je transmet d’autres choses mais au niveau de l’identité catholique ça s’effiloche un peu. On fête Noël mais ça se limite à ça »
A. 40 ans: « Mes enfants sont juifs mais je me demande encore, de mon côté n’étant pas juif, quels mots je peux donner pour qualifier mon apport ? En fait, les mots sont très réducteurs. Le mieux serait peut-être d’être détaché de cette question. Ce n’est peut-être pas nécessaire ou pas très important pour moi. D’où la question est-ce qu’on peut réduire quelqu’un à une seule identité ? Dans le texte de Sharon, j’ai trouvé ça intéressant qu’elle mette en évidence le fait que ses parents sont juifs mais finalement d’origines et de cultures tellement éloignées, je ne crois pas que c’est si pertinent de se réduire à une seule identité.»
L. 55 ans: « L’identité juive, j’ai l’impression que c’est dynamique. C’est vrai, on peut naître juif ou non-juif selon la halakha mais ce n’est pas ça qui est important, c’est ce que l’on fait de ce bagage. On a eu de très belles histoires et on peut encore en raconter des milliers. (A A.40 ans), je t’ai entendu dire tout à l’heure que tu as deux enfants juifs. J’ai réfléchi et me suis dit donc le papa considère que ses deux enfants sont juifs alors je me suis dit, est-ce que le papa est plus juif que la maman ? Parce que lui, il se réfère au texte ! »
A. 60 ans: « La comparaison entre être catholique et juif n’est pas forcément pertinente. Catholique est une religion. Juif est bien plus large que ça. On peut transmettre énormément de choses sans dire un mot de Dieu ou de la religion. Moi mon judaïsme c’est la tradition Mitteleuropa du début du 20ème siècle, c’est pas tellement Maïmonide, c’est plutôt Kafka, Freud, cette tradition-là. »
J. 28 ans: « Mon père est juif franco-israélien, ma mère est non seulement catholique mais aussi allemande. Au niveau de la transmission on a été élevés en allant à l’église tous les dimanches, en apprenant l’allemand et le français et en allant en Israël tous les ans pour Pessakh (Pâque juive). Il y a eu des moments de remise en questions des 5 frères et sœurs que nous étions. Tous les 5 se définissent de manière tout à fait différente. Chacun a un peu trouvé à partir des milieux sociaux dans lequel il a évolué des chois et des études qu’il a fait… Chaque définition est très personnelle. C’est au sein de la famille qu’on se retrouve sachant qu’il y avait déjà une tradition de mixité parce que du côté catholique, c’est en fait catholique protestant et du côté du grand-père, il y avait déjà eu une conversion au catholicisme ce qui a été presque plus difficile que le mariage catho/juif et du côté c’est ashkénaze et sépharade. On s’en sort tous bien mais avec des questionnements qui n’en finissent pas et qui ne finiront certainement jamais mais on va tous bien. »
Le 21 juin 2015