Retour sur la rencontre au Centre culturel Jacques Franck
Le 19 septembre, le Centre culturel Jacques Franck accueillait une soirée rare et nécessaire autour du livre Nous refusons. Dire non à l’armée israélienne, du photojournaliste Martin Barzilai. Une rencontre dense et attentive, traversée par des récits de refus et de courage, à un moment où ces voix sont souvent reléguées aux marges.
Comme l’a rappelé l’introduction de la soirée :
« Dans un pays où le service militaire est obligatoire pour les femmes comme pour les hommes, et où l’État mène une guerre aux allures génocidaires, certaines voix refusent de se taire. Ce sont celles des Refuzniks : des Israéliens et Israéliennes, souvent jeunes, éduqué·es, intégré·es, qui disent non à l’armée, non à Tsahal, non à la logique de guerre. Leur désobéissance leur vaut l’exclusion sociale, des pressions, des menaces, souvent la prison, parfois même l’exil… »

Déjà invité en 2018 pour la présentation de son premier ouvrage Refuzniks, Martin Barzilai poursuit ici un travail au long cours. Né en Uruguay, formé à Paris, photographe et documentariste, il a travaillé en Amérique latine, en Europe, en Afrique du Nord, mais aussi en Israël et en Palestine. Son approche conjugue rigueur journalistique et attention profonde aux trajectoires individuelles.
Réalisé avec le soutien d’Amnesty International, Nous refusons rassemble près de soixante témoignages d’Israéliennes et d’Israéliens qui ont choisi de ne pas servir dans l’armée. Des profils variés — femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, religieux ou laïques — dont certains ont été interviewés après le 7 octobre, dans un climat de sidération collective et de répression accrue de toute dissidence intérieure.

Sur l’estrade, plusieurs voix se sont répondu. Aux côtés de l’auteur, Carine Thibaut a rappelé le cadre des droits humains et l’importance de documenter les refus comme actes politiques protégés. Maya Lerman a livré un témoignage direct et incarné, donnant à entendre ce que signifie, concrètement, dire non depuis l’intérieur d’une société militarisée. La discussion était modérée par Sharon Geczynski et Sacha Schiffmann, qui ont veillé à faire dialoguer expériences personnelles, analyse politique et questions du public.
Au fil de la soirée, les portraits se sont succédé, donnant chair à des refus rarement entendus. En Israël, dire non à l’armée n’est jamais un geste abstrait : c’est accepter l’isolement social, les menaces, parfois la prison. C’est aussi rompre avec un consensus national puissant, et assumer le coût intime et familial de ce choix.
La discussion avec le public a donné lieu à plusieurs prises de parole fortes. L’une d’elles, en particulier, a marqué la salle par sa lucidité et sa portée politique. Une intervention qui, au-delà du contexte israélien, a déplacé la focale vers une responsabilité plus large et partagée :
« Pour moi, ce qui ressort surtout de cette soirée, c’est un encouragement. Parce que, même dans les pires conditions, il y a toujours des personnes qui résistent, qui changent d’avis, qui refusent de suivre le courant, quoi qu’il en coûte. Et je trouve que c’est un encouragement précieux, pour tout le monde.
Je crois que cette question ne concerne pas seulement Israël, mais aussi ce que nous vivons ici, en Belgique. Ici aussi, aujourd’hui, on accepte beaucoup de choses. On ne peut sans doute pas dire que nous commettons un génocide, mais enfin : combien de morts au Congo ? Le gouvernement belge a participé à des bombardements en Syrie, en Irak, et s’apprête à plonger des milliers de personnes dans la précarité en janvier 2026.
C’est pour cela que l’idée selon laquelle “les gens seraient bêtes” me gêne profondément. Ce que je vois dans votre travail — et je vous en remercie — ce sont justement des personnes qui ne marchent pas, qui ne suivent pas. Et moi, j’ai envie d’être de ces personnes-là.
Si aujourd’hui, en Israël comme ailleurs, beaucoup de gens ne voient pas, ou ne refusent pas, c’est aussi parce qu’il manque des perspectives politiques globales. Il manque l’espoir que la société puisse changer, que le monde puisse être transformé.
Pour ma part, je reste convaincue que le monde peut changer. Mais pour cela, il faudra se battre pour nos véritables intérêts : nos intérêts de travailleurs, et non des intérêts nationaux ou religieux. »
Cette prise de parole a résonné comme une mise en perspective essentielle du travail de Martin Barzilai : le refus n’est pas seulement un objet d’observation, il est aussi une ressource politique, un point d’appui pour penser ce qui résiste, ici comme ailleurs.
Cette soirée était le fruit d’une collaboration entre l’Union des Progressistes Juifs de Belgique, Amnesty International Belgique francophone et le Centre culturel Jacques Franck, un croisement d’engagements et de regards qui a donné toute sa profondeur à l’échange.
Le podcast de la soirée
Pour celles et ceux qui souhaitent réécouter les échanges ou n’ont pas pu être présents, la rencontre est disponible en deux parties :
- Partie 1
https://www.radiocampus.be/emissions/micro-ouvert/nous-refusons-dire-non-a-larmee-en-israel/ - Partie 2 (et fin)
https://www.radiocampus.be/emissions/micro-ouvert/nous-refusons-dire-non-a-larmee-en-israel-partie-2-et-fin/
Un grand merci à Radio Campus Bruxelles pour la captation et la mise à disposition de cette soirée sous forme de podcast, qui permet de prolonger l’écoute et de faire circuler largement ces voix.
Pour en savoir plus sur le travail de Martin Barzilai:
- Martin Barzilai (site web): https://www.martin-barzilai.com/albums/refuzniks/
- Editions Libertalia: https://www.editionslibertalia.com/catalogue/orient-xxi/martin-barzilai-nous-refusons
- Plurielle.info (podcast): https://plurielle.info/nous-refusons-martin-barzilai-raconte-ces-israeliens-qui-ne-veulent-plus-servir-larmee/
- France Culture: https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/dire-non-a-l-armee-refuzniks-et-objecteurs-5845168
- Points Critiques, Interview de Sharon Geczynski (2018): https://upjb.be/focus-refuzniks-resister-israel/
Portraits de refuznik (2018)



