Sharon de Bruxelles

Mohamed de Jérusalem et Sharon de Bruxelles

Mohamed de Jérusalem et Sharon de Bruxelles

Lors de mon récent voyage en Israël, j’ai été rendre visite à Mohamed que j’avais déjà rencontré à Bruxelles. Mohamed est un résident palestinien natif de Jérusalem-Est. Il a vécu une dizaine d’années en Belgique où il a épousé une femme juive avec laquelle il a eu une fille. Quand un jour, après avoir divorcé, il décide de retourner dans sa ville natale, il apprend qu’il a perdu son permis de résidence. Comme si, le fait de devenir belge, signifiait de facto qu’il y avait renoncé. Il s’est donc retrouvé pendant des années sans permis de résidence ce qui équivaut à vivre comme un illégal (sans permis de travail, sans assurance, maladie etc.) dans sa ville natale. Suite à un combat tenace pendant des années, il a fini par obtenir gain de cause auprès du tribunal de Jérusalem qui a chargé le Ministère de l’Intérieur de rétablir son statut de résidence. Le cas de Mohamed est un exemple parmi d’autres du traitement réservé aux citoyens de seconde-zone que sont les palestiniens d’Israël.

Ce qui m’interpelle, c’est que j’ai vécu, une histoire similaire mais dans l’autre sens…

En janvier 2009, j’avais alors 35 ans, je décide de rendre visite à mes proches en Israël. C’est l’occasion de leur présenter mes deux fils et mon compagnon. Nous tombons alors en pleine guerre et le pays est sous tension. Arrivée à l’aéroport Ben Gurion, je montre mon passeport belge à la douane comme je l’ai toujours fait. Je suis née en Belgique. Bien qu’ayant passé de nombreuses périodes de vacances au sein de ma famille en Israël, je n’y ai jamais habité. Mon père est belge, ma mère, israélienne. Tous deux sont juifs. Ils habitent en Belgique. Mon père y est né et ma mère y a immigré, il y a 50 ans. La douanière me demande où est mon passeport israélien, je lui répond que je n’en ai jamais eu parce que je n’ai jamais fait mon “alyah” ni habité en Israël. Peu à peu, elle devient agressive comme si elle me soupçonnait de lui raconter des sornettes. Elle finit par me dire d’un ton menaçant que si je ne retire pas de passeport israélien auprès du Ministère de l’Intérieur, je ne serai pas autorisée à retourner en Belgique avec mes enfants. Au Ministère de lntérieur, on m’explique alors que je ne peux plus voyager avec mon passeport belge en Israël car pour eux, je suis israélienne. C’est la loi, me dit-on, pour tous les enfants de mère israélienne. Ils finissent par me donner un laissez-passer en me faisant promettre de régulariser la situation une fois arrivée en Belgique.

S’ensuit, pour moi, un dilemne et une réflexion autour de cette “nouvelle” identité.

Renoncer ou la garder ? Israël est le pays de ma mère, j’y ai beaucoup de famille et des liens affectifs puissants, c’est évident que je serai amenée à y retourner souvent. Mais que se passera-t-il si je renonce à cette nationalité qui me semble être un privilège injuste comparativement à des natifs qui ne possède souvent, eux, que des sous-statuts?
Et puis, qu’est-ce que cela implique pour mes enfants? Transmettrais-je, à mon tour, la nationalité israélienne à mes fils? Et dans leurs cas, seront-ils sollicités pour faire trois années d’armée, à leurs dix-huit ans? A l’ambassade, ils m’assurent que la transmission s’arrête à la deuxième génération et ne va pas au-delà. Je suis à moitié rassurée par des paroles (qui s’envolent) et ne trouve rien d’écrit sur ce sujet noir sur blanc (des experts dans la salle?).

Dans un même temps, l’identité israélienne est clairement une des facettes de mon identité, l’hébreu, par exemple, est ma langue maternelle (au même titre que le français). Comme beaucoup d’immigrés, ma mère m’a élevée dans la nostalgie de son pays, celui dans lequel elle a grandi. Oui, au fond de moi, je me sens aussi israélienne. Et cela, au même titre que des natifs belges d’origine italienne ou marocaine, possédant la double nationalité. Et la politique des gouvernements israéliens successifs, avec lesquels je suis en désaccord au moins depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin, n’y change absolument rien. Et puis, quelque part, si je deviens israélienne n’est-ce pas aussi une manière de faire grossir les rangs de la minorité de gauche israélienne?
C’est ainsi qu’en 2009, en pleine guerre “plomb durci”, ulcérée par l’indifférence de la société israélienne face au millier de morts à Gaza, je devins, dans un même temps, israélienne et plus déterminée que jamais à m’engager pour soutenir le combat de ceux qui militent pour plus de justice sur ce territoire.

Mon amour de goy 2

Mon amour de goy 2

Un atelier sur les couples mixtes dans le cadre du festival How Do You Jew (2015)

Entre 15 et 20 participants de tout âges, hommes et femmes ont donné leurs points de vue sur les couples mixtes après la lecture du texte ci-dessus. Tous concernés. En couple mixte, enfants de couple mixte, grands-parents de petits enfants de couple mixtes. Les âges des personnes présentes sont approximatifs mais il m’a semblé intéressant que les lecteurs puissent en avoir une idée. C’est volontairement un peu « brut », le petit échantillon et le matériau qualitatif ne permettant pas de faire des généralités.

  1. Qui est juif ?

A la question qui est juif ? Plusieurs réponses sont possibles selon que l’on prenne comme référence l’un ou l’autre courant du judaïsme (orthodoxe ou réformiste). Sans oublier les autres tiers qui donne ou ont donné une définition politique de l’identité juive (l’Etat d’Israël dans ses limites aux bénéficiaires de la loi du retour mais aussi les nazis dans leur stratégie d’extermination du « peuple juif »). L’idée dans cet atelier n’était sûrement pas d’y répondre (si tant est qu’il y ait une réponse) mais il est intéressant de constater que lorsqu’il est question d’identité(s), de mixité et de transmission, cette question occupe beaucoup de place. Plusieurs participants ont évoqué la fameuse phrase attribuée à David Susskind: « Est juif celui dont les enfants sont juifs ». Pour la plupart des participants, la judéité est avant tout une question de transmission.

A. 60 ans : David Susskind qui a repris la phrase de Shimon Peres donne la définition sociologique du juif qui transmet ». Pour A., connaître sa propre culture mais aussi celles des autres est primordiale : « il y a de longues années un copain m’a dit : tu viens à la manifestation de soutien aux arméniens ? Je lui ai répondu : Marc est-ce que tu parles cinq mots de la langue arménienne ? Non me répondit-il. Bon, il serait peut-être plus utile que tu apprennes cinq mots d’arménien plutôt que d’aller à une énième manifestation. ». L’importance accordée à la transmission lui fait dire qu’« est juif celui dont les petits-enfants sont juifs ». Selon lui, la laïcité est souvent un prétexte pour l’ignorance « Que chaque juif pratique ou pas, j’en ai rien à cirer. Mais quand tes petits enfants juifs diront le mot Hanoukka, Brith Mila, j’aimerais qu’il sache ce que ça veut dire ! Cette transmission là existe. Voilà. ». Enfin, il distingue transmission culturelle et pratique de la religion : « Quand un libre-penseur (ou pas) entre dans un musée ou dans une église, il voit une descente de croix ou une ascension, il comprend culturellement de quoi il s’agit. Quand le New-York times parle de Bar-Mitsva, de Brith Mila ou de Hanoukka, il n’y a pas de notes en bas de page pour expliquer ce que ça veut dire, dans Regards oui, et ça me fait chier ! ».

J. 39 ans: « C’est vrai qu’on se dit qu’on a réussi dans notre judaïsme en transmettant quelque chose à nos enfants et petits-enfants ». Elle explique que son compagnon va un cran plus loin, en envisageant « la judéité à rebrousse-poil ». « Mon compagnon m’a dit mais en fait ce n’est pas du tout ça la signification de cette phrase (est juif celui dont les enfants sont juifs), la signification de cette phrase, c’est qu’il faut la prendre à rebrousse-poil : est juif celui dont les enfants sont juifs. Et donc dès lors que mes enfants sont juifs, je suis juif parce que tu es juive et parce que notre fils a été circoncis. En fait, moi catholique d’origine flamande, rien à voir avec le judaïsme, en fait je suis un peu juif. Je vais à Beth aviv (école juive) tous les matins, mes enfants ont été à la crèche du CCLJ. En fait ça déteint sur moi. Et donc il y a une transmission inversée (à rebrousse-poil). »

V. 42 ans: fait remarquer qu’il y a tout de même un jugement halakhique qui porte a conséquences pour celui qui souhaite pratiquer la tradition: «Par exemple quelqu’un qui se considère comme juif pourrait ne pas être autorisé à se marier à la synagogue et ça ça pose un problème pratique. »

L. 55 ans qui se définit comme juif pratiquant du courant réformiste (Chir Hadash) lui répond : « il y a de gros problèmes pratiques mais il faut savoir que le judaïsme n’est pas unique et invariable. Il y a déjà des variations entre toutes les communautés ashkénazes, sépharades, mizrahims et éthiopiens. Le judaïsme est l’ensemble de toutes les tendances du judaïsme et il y a des tendances qui ont pris à cœur ce problème pour que tout le monde puisse vivre en harmonie parce que ce qui est important c’est de pouvoir cultiver quelque chose sans qu’un jour quelqu’un vous dise que vous êtes quelque chose et que vous n’avez pas pu en profiter. Moi je vis le judaïsme pour le meilleur comme ça le jour où c’est pour le pire ben j’aurais eu le meilleur ! »

S. 50 ans: « Moi non plus mes enfants ne sont pas juifs selon la halakha, moi j’ai épousé une chrétienne mais tout dépend des courants, pour le courant Massorti, mes enfants sont considérés comme juifs donc c’est aussi pour ça que je suis ce courant là mais effectivement ça pose des problèmes. Mon fils est circoncis, mes enfants se considèrent comme juifs, ils vont dans des écoles juives mais leur maman n’est pas juive. Il y a une chose sur laquelle on a toujours été d’accord c’est que nos enfants soient éduqués dans le judaïsme. »

B. 57 ans: « A chaque fois que la question se pose, c’est comme s’il y avait un problème. Or, il est où le problème ? Qui se soucie qu’on le soit ou pas. En général, c’est quelqu’un qui veut savoir si on fait partie du cheptel ou pas. Et quelqu’un qui se définit en dehors du cheptel, ça terrorise. Or du coup c’est toujours l’estampille, l’appartenance, à quel club tu cotises quoi ?! Comme si être en dehors c’était problématique. Bon moi je suis juif, j’ai grandi au Maroc, j’ai souvent été en dehors et je me sens très bien en-dehors, être un étranger ça me paraît normal. Par contre le repli identitaire autour d’une estampille, j’ai un problème parce que moi je n’aime pas être enfermé dans des bocaux et au nom de n’importe quel idéologie, je ne peux pas me sentir enfermé. Du coup je préfère être dans l’ombre plutôt que d’appartenir à un groupe mais ça ne veut pas pour autant dire que je suis sauvage et que je ne veux parler à personne. Mais humain, ça me paraît la seule chose à laquelle on peut s’identifier de manière universelle. Que les juifs se soucient de l’humanisme, qu’ils soient empathiques, ce n’est pas un hasard si il y a bcp de photographes juifs. A travers des questions identitaires, on cherche à savoir qui sont les autres et bcp de photographes cherchent à savoir qui sont les autres à travers leur objectif. »

  1. Quelle transmission ? Quelles identités transmettre à ses enfants?

Que transmet-on lorsqu’on se définit comme un couple mixte, que l’on n’est (ni l’un ni l’autre) pratiquant ? Que transmet-on lorsque que l’on partage sa vie et que l’on élève des enfants avec un conjoint non juif qui se déclare athée

S. 41 ans:

« Il y a comme un besoin ou une injonction à transmettre qui vient des famille ou du milieu juif. Je ne sais pas si cette injonction est aussi importante chez tout le monde… Peur de couper les liens, peur de disparaître ? Je pense moi qu’effectivement c’est plus intéressant pour les enfants de pouvoir s’identifier à leurs deux parents. Je me suis posée ces questions, j’ai eu envie que mon compagnon s’y retrouve même si j’ai pu constater qu’il n’avait pas la même ardeur à transmettre que moi… Moi je me sens plutôt mal à l’aise avec l’idée d’être la seule à transmettre. Mais en fait je ne suis pas la seule à transmettre mais peut-être la seule à en ressentir (autant) le besoin ? Etre juif en Belgique, c’est aussi faire partie d’une minorité. Mon compagnon est belge et nous sommes en Belgique. A priori l’histoire de la Belgique fait partie des programmes d’enseignement, la culture (belge) est partout. Si moi je n’enseigne pas ma culture (juive) à mes enfants, personne d’autre ne le fera à ma place. Que se passerait-il si nous partions dans un autre pays ? Peut-être serions-nous plus amenés à transmettre notre belgitude ! »

A. 60 ans:

Voici quelques données statistiques intéressantes qui valent le commentaire, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, il est beaucoup plus fréquent qu’un homme juif épouse une femme non-juive que l’inverse. La différence statistique est énorme. L’autre donnée, il y a une étude américaine qui date d’il y a 5 ou 6 ans de l’American Jewish Congress qui a été vite enterrée (vous allez comprendre pourquoi, j’en ai eu connaissance par hasard). Typiquement dans l’Etat de New-York, les hommes juifs d’un niveau universitaire épousent une femme juive, lui font un, deux ou trois enfants, divorcent, puis épousent une femme non-juive. C’est un trends extrêmement significatif : le Devoir et puis le Plaisir. L’inverse est très rare.

A. 60 ans : Je crois qu’il faut étudier la question de manière tout à fait différente d’un point de vue macrosociologique où là toutes les minorités, les arméniens, les tziganes, les grecs. Vous avez tous vu le film « Le grand mariage grec ». C’était un désastre quand la fille veut épouser un Xénos (un étranger, un non-grec). Idem pour les arméniens et les tziganes. Là les juifs ne se distinguent pas des autres minorités. Et d’un point de vue microsociologique, du point de vue individuel, personne ne peut dire non non non, il n’est pas juif donc je ne l’épouse pas. Deux perspectives totalement différentes à distinguer.

J. 39 ans: « Je suis avec quelqu’un qui n’est pas juif et j’ai des enfants qui sont « point d’interrogation ». Je dis point d’interrogation parce qu’on parle bcp ici d’identité juive mais pour nous au sein de notre couple on a défini nos enfants come ayant une identité mixte et c’est très important pour nous que l’identité soit mixte. Je ne l’ai pas compris tout de suite mais au fil des discussions cela m’a paru très important. Pour moi, ils ont une identité juive, pour lui ils ont une identité qui ne doit pas être que juive. Pourquoi ? Parce que si on les éduque que dans le judaïsme ou que dans le catholicisme quand ils sont petits, à 18 ans ils risquent d’avoir un revers de bâton et de rentrer complètement en réaction à l’une ou l’autre identités. Là je me suis dit que ce serait bien que ce soit plutôt mixte, au moins je n’ai pas de mauvaises surprises à 18 ans. Donc pour nous c’est important qu’il y ait cette mixité. »

A. 40 ans: « moi je suis de culture catholique mais athée. C’est vrai que je ressens que la culture catholique si elle n’est pas religieuse, elle est beaucoup moins forte que la culture juive. Il y a une mémoire qui se transmet beaucoup plus. Donc moi finalement ma culture catholique, je ne la transmet pas réellement, je transmet d’autres choses mais au niveau de l’identité catholique ça s’effiloche un peu. On fête Noël mais ça se limite à ça »

A. 40 ans: « Mes enfants sont juifs mais je me demande encore, de mon côté n’étant pas juif, quels mots je peux donner pour qualifier mon apport ? En fait, les mots sont très réducteurs. Le mieux serait peut-être d’être détaché de cette question. Ce n’est peut-être pas nécessaire ou pas très important pour moi. D’où la question est-ce qu’on peut réduire quelqu’un à une seule identité ? Dans le texte de Sharon, j’ai trouvé ça intéressant qu’elle mette en évidence le fait que ses parents sont juifs mais finalement d’origines et de cultures tellement éloignées, je ne crois pas que c’est si pertinent de se réduire à une seule identité.»

L. 55 ans: « L’identité juive, j’ai l’impression que c’est dynamique. C’est vrai, on peut naître juif ou non-juif selon la halakha mais ce n’est pas ça qui est important, c’est ce que l’on fait de ce bagage. On a eu de très belles histoires et on peut encore en raconter des milliers. (A A.40 ans), je t’ai entendu dire tout à l’heure que tu as deux enfants juifs. J’ai réfléchi et me suis dit donc le papa considère que ses deux enfants sont juifs alors je me suis dit, est-ce que le papa est plus juif que la maman ? Parce que lui, il se réfère au texte ! »

A. 60 ans: « La comparaison entre être catholique et juif n’est pas forcément pertinente. Catholique est une religion. Juif est bien plus large que ça. On peut transmettre énormément de choses sans dire un mot de Dieu ou de la religion. Moi mon judaïsme c’est la tradition Mitteleuropa du début du 20ème siècle, c’est pas tellement Maïmonide, c’est plutôt Kafka, Freud, cette tradition-là. »

J. 28 ans: « Mon père est juif franco-israélien, ma mère est non seulement catholique mais aussi allemande. Au niveau de la transmission on a été élevés en allant à l’église tous les dimanches, en apprenant l’allemand et le français et en allant en Israël tous les ans pour Pessakh (Pâque juive). Il y a eu des moments de remise en questions des 5 frères et sœurs que nous étions. Tous les 5 se définissent de manière tout à fait différente. Chacun a un peu trouvé à partir des milieux sociaux dans lequel il a évolué des chois et des études qu’il a fait… Chaque définition est très personnelle. C’est au sein de la famille qu’on se retrouve sachant qu’il y avait déjà une tradition de mixité parce que du côté catholique, c’est en fait catholique protestant et du côté du grand-père, il y avait déjà eu une conversion au catholicisme ce qui a été presque plus difficile que le mariage catho/juif et du côté c’est ashkénaze et sépharade. On s’en sort tous bien mais avec des questionnements qui n’en finissent pas et qui ne finiront certainement jamais mais on va tous bien. »

Le 21 juin 2015

Mon amour de goy 1

Mon amour de goy 1

En juin 2015 a eu lieu, le festival How Do You Jew. Il s’agissait d’un festival éclectique sur des thèmes variés. J’y présentais un atelier sur le thème des couples mixtes intitulé mon amour de Goy. Le texte ci-dessous a servi d’introduction au dit atelier.


Dans le récit incarné que je vais vous livrer dans le cadre de cet atelier, je pars de mon point de vue de femme athée ce qui n’est pas un détail dans le cadre de la transmission matriarcale de l’identité juive. J’espère donc que ce que je vais vous dire va vous faire réagir. Mon objectif est de partager ici nos diverses expériences sur des questions peu débattues dans les familles. C’est un sujet très vaste et c’est pour moi ici le lieu d’expérimenter et de comprendre, parmi les questionnements que je vais soulever, quels sont ceux qui font le plus écho en vous.

Quand j’ai pensé à ce thème, j’ai d’abord pensé à ma propre expérience avec le père de mes enfants. J’ai pensé à notre rencontre et à l’accueil que notre union a reçu auprès de nos familles et de nos proches. J’ai pensé à notre parcours, à nos discussions sur la circoncision, sur les choix d’école, sur les fêtes et les rites culturels, ceux que nous avions envie (ou pas) d’inscrire dans notre histoire familiale. J’ai pensé à notre trajectoire familiale singulière composée par nos identités multiples et à son évolution au fil du temps. Toute cette belle réinvention quotidienne qui me fait souvent sentir plus juive que si je n’avais pas à l’expliquer à mon amour de Goy.

Dans ma famille juive, peu de sujets d’ordre identitaire faisaient l’objet d’un questionnement. Mes deux parents sont juifs et la plupart des choses « allaient de soi ». Je n’ai jamais entendu nulle part le moindre débat autour de la pratique ancestrale de la Brith Mila (circoncision) (ni dans ma famille ni ailleurs dans les institutions juives que j’ai fréquentées avant d’avoir des enfants). C’est compréhensible en même temps puisqu’il suffisait de ne pas se marier avec un « goy » ! Or cette pratique est sans aucun doute un grand sujet de débat – parfois une source de conflit – en tout cas une question éminemment sensible dans l’identité juive de diaspora où de nombreux juifs/juives rencontrent l’âme sœur goy.

Parmi ceux de mes amis qui ont rencontré leur moitié « goy », les avis sur ce point sont très divergents et souvent cela nous fait des débats animés. S’il y a bien une question que l’on se pose à la naissance de son premier enfant (du moins si c’est un garçon) et qui cristallise tant d’enjeux et de représentations, c’est la circoncision. Pas un seul de mes amis juifs n’y a échappé sauf bien évidemment ceux qui ont eu des filles. Après les négociations entre les parents, on croit que ça y est, le problème est réglé, mais en fait, viennent s’ajouter les questions et perceptions des enfants. J’ai deux fils, l’un des deux m’a dit un jour qu’il était gêné à la natation de montrer son zizi juif. L’autre m’a dit un jour ceci : « Maman à l’école, il y en a qui ont des zizis Capuchon, moi j’ai un zizi Champignon et papa, il a de la chance, il a un zizi “Transformers” (entendez ici un zizi capuchon capable de se transformer en zizi champignon)». Difficile de ne pas entendre qu’avoir un zizi différent de celui des copains, ben ce n’est pas si simple.

Pour certains ne pas circoncire et donc « ne pas couper », c’est couper son enfant d’une histoire familiale, d’une tradition séculaire, d’un passé, bref de ses racines. C’est un acte biographique, identitaire et de mémoire. La circoncision légitime la judéité de leur enfant aux yeux des « autres » juifs. Pour d’autres, la circoncision est un acte barbare, dépassé, une atteinte inutile au corps voire une mutilation. Cette question n’est pas uniquement l’apanage des couples mixtes, je reviens d’Israël où, à mon grand étonnement, j’ai rencontré des juifs israéliens qui remettent en question la circoncision. Un ami israélien m’a dit “si j’ai la possibilité d’avoir 4 fois plus de plaisir avec un prépuce pourquoi enlever cette possibilité là à mes enfants?“. Cette remise en question s’accompagne souvent d’une référence à des études scientifiques (notamment celles réalisées auprès d’hommes circoncis sur le tard issus de l’immigration russe en Israël) qui auraient démontré que les hommes avec prépuce avaient une sexualité plus épanouie…

Pour d’autres encore, la circoncision est un marqueur corporel synonyme de stigmatisation et de souffrances, une référence à la Shoah. Plutôt que de faire comme leurs ancêtres trop facilement repérés par les nazis, ils choisissent (tant qu’à faire !) d’éviter ce stigmate à leurs enfants. Le souci de ces derniers est que leurs enfants puissent vivre paisiblement en se fondant dans une masse universaliste. Ce sont les partisans (conscients ou inconscients) de l’assimilation. A ce propos, le couple « mixte », représente pour certains la promesse d’une rapide assimilation. Pour d’autres, c’est une voie vers la création d’un monde métissé où l’amour et les valeurs universelles priment sur tout le reste mais où les identités, la mémoire, la filiation tiennent une place importante.

Parlons-en aussi de ces identités multiples à gérer quand on est un couple “mixte”. Comment répondre simplement à cette question que m’a posée un jour un de mes fils: « maman est-ce que je suis juif ou chrétien ». Naturellement, j’aurais tendance moi, en tant qu’athée, à lui dire que du point de vue religieux, il n’est ni l’un ni l’autre puisque nous ne pratiquons aucune des deux religions. Mais les choses ne sont pas si simples et tellement personnelles. Si je leur dis qu’ils sont juifs, alors comment expliquer qu’ils ne soient pas chrétiens ? Et comment rétablir un genre d’« égalité identitaire » ? Pourquoi serais-je la seule à transmettre une identité ? Pas facile.

Comme si ce n’était pas assez compliqué, aujourd’hui après avoir choisi le prénom de son enfant (juif ou pas ?), les discussions peuvent se prolonger autour des noms de famille… En effet, depuis peu en Belgique, il est permis de donner à ses enfants les deux noms de famille, celui du père mais aussi celui de la mère. Pour moi (pour nous), ces questions se sont posées avec les tiraillements propres aux couples mixtes. Très chouette de faire apparaître deux histoires familiales sans qu’une des eux ne soient considérés de fait comme plus importante que l’autre pour moi qui suis aussi féministe. Mais bon mon nom reste un nom à « connotation étrangère » alors que celui du père de mes enfants est typiquement belge. Quand on sait (comme moi par déformation professionnelle ?), à quel point la discrimination à l’embauche est prégnante en Belgique, il y a dans ce contexte (et c’est malheureux) de quoi hésiter à donner volontairement un nom à connotation étrangère à ses enfants. Et puis quelque part, je me dis qu’en leur laissant un seul nom (aussi belge “de souche” qu’il soit), je le fais entrer de facto dans le patrimoine des noms de famille juifs!

Enfin, en préparant cet atelier, j’ai aussi pensé à mes propres parents. Ma mère née au Maroc et ses deux parcours d’immigration, l’un datant de 1949 quand elle a immigré en Israël depuis le Maroc avec ses propres parents et l’autre datant de son arrivée en Belgique début des années 60’ après sa rencontre avec mon père. Après avoir rencontré son ashkénaze de mari, ma mère a utilisé nombre de ses charmes dont son talent culinaire pour se faire accepter auprès de ses beaux-parents ashkénazes qui l’appelait tout de même la « schwartze » au début (ce qui veut dire la noire en yiddish)… Elle a du après avoir prouvé que malgré ses racines judéo-arabes – plutôt branchée couscous, srena (version du tchoulent) ou shakshouka (plat à base de tomates et poivrons typiquement juif marocain) – elle savait mieux faire le gefilte fish (carpe à la juive), le gehakte leber (foie à la juive) et le keeskiekhen (gâteau au fromage) que sa belle-mère juive polonaise.

En repensant à mes parents, tous deux juifs mais l’une issue du Maghreb et l’autre originaire d’Europe de l’Est, je me suis dit qu’entre eux, il y avait vraiment ce qu’on appelle un choc culturel. Quand je mets en perspective mon couple et le leur, c’est le leur qui s’apparente à ce que les sociologues nomment l’hétérogamie. Ce terme pour les sociologues de la famille sert à désigner dans le cadre d’une union, les conjoints qui sont éloignés culturellement ou socialement l’un de l’autre. En gros, entre mon goy de mari et moi, nés tous deux à Bruxelles, tous deux issus de la classe moyenne éduquée, il y a très peu de différences. C’est presque une coquetterie que de se considérer comme un couple mixte. Aux yeux de la sociologie, nous serions considérés comme un banal couple homogame. Voilà donc un concept qui à comme intérêt de remettre les choses en perspectives et qui nous donne l’occasion de relativiser et de questionner le concept même de “mixité”.

Etrangère de souche

Etrangère de souche

Cela fait longtemps que je suis confrontée au regard intrigué de l’autre alors que je ne suis ni bronzée ni bouclée. Physiquement, je passe pour le commun des mortels tout au plus pour une européenne d’origine espagnole ou italienne, jamais vraiment pour une belge. Si j’ai rarement été confrontée au délit de faciès (même si j’avoue ne jamais avoir essayé non plus d’entrer au Cercle de Lorraine), en revanche, j’ai un nom qui en dit long sur mes origines et il m’est souvent arrivé de devoir me justifier par rapport à la politique d’un Etat dans lequel je n’habite pas et cela même lors d’entretiens d’embauche. A noter que j’ai aussi eu droit, grâce à mon nom de famille polonais, à des propos racistes visant les polonaises.

Mon étrangeté vis-à-vis des autres, je ne l’ai comprise que vers 15 ans. C’est lors de mon passage (en secondaire) de l’école juive à l’école communale que je fut confrontée pour la première fois à des enfants non-juifs. Comme j’ai eu un parcours scolaire mouvementé, je me suis retrouvée dans des sections faibles composées quasi exclusivement de doubleurs et d’élèves issus de l’immigration marocaine, turque mais aussi portugaise, espagnole et italienne. Peu de « belgo-belges » en fait. Dans l’école où j’ai terminé ma scolarité, nous étions à tous casser 5 ou 6 juifs sur toute l’école et dans ma classe, j’étais systématiquement la seule juive.
Dans ce contexte, il m’est arrivé d’être confrontée aux préjugés des autres qui allaient de regards intrigués à certains propos que l’on qualifierait facilement dans le contexte actuel de dérapages antisémites. Ce qualificatif n’avait alors pas lieu d’être à l’époque où je l’ai vécu mais le contexte (de résolution du conflit israélo-palestinien notamment) du début des années 90’ était bien différent. Dès lors, loin de moi l’idée de généraliser à partir de mon cas personnel mais c’est pour moi ici l’occasion de poser les bases d’une réflexion à partir d’un récit incarné, le mien.

Je me souviens bien par exemple de tel garçon d’origine turque qui m’a dit sans savoir que j’étais juive ne pas être raciste sauf à l’égard des juifs ou de tel autre qui se moquait de l’accoutrement des juifs orthodoxes pensant que tous les juifs étaient ainsi vêtu. Ce n’était pas simple mais je me suis structurée avec cette différence et j’ai appris à me défendre contre des propos relevant avant tout de l’ignorance.
A la même époque, j’ai également découvert que j’avais un nom exotique. J’ai du apprendre à répondre aux interrogations des autres sur ce prénom israélien et ce nom de famille polonais. Paradoxalement mes parents ne se vivaient pas comme étant issus de l’immigration. Pour pouvoir répondre (ou pas) aux questions des autres sur mes origines, il a fallu que je réalise une quête identitaire. Savoir qui j’étais réellement et quelles étaient mes racines.

Ce dont je me souviens également quand je me (re)met dans ce contexte de changement, ce sont mes propres préjugés vis-à-vis des autres et notamment vis-à-vis des arabo-musulmans. Ceux-ci m’avaient été inculqués par mon environnement familial (en Belgique ou en Israël) et social (à l’école, dans les institutions juives…). Par exemple, l’école juive que je fréquentais en primaire était située à Cureghem dans un quartier vécu comme « dangereux » ce qui générait des sentiments de défiance vis-à-vis de la population locale.

La prise de conscience de ces préjugés m’ont permis de ne pas appréhender d’emblée les propos négatifs sur les juifs comme un antisémitisme profondément ancré dans la conscience de mes congénères mais bien comme quelque chose qui existait dans tous les milieux et dans toutes les familles y compris la mienne.
Loin de correspondre aux clichés associant tous les juifs à la bourgeoisie ou à l’intelligentsia, ne venant pas d’un milieu social spécialement favorisé ni sur le plan culturel ni sur le plan économique, mon éducation – mon capital culturel – était assez similaire à celle de mes camarades de classe. Ce que j’ai pu observé alors, c’est qu’à force de se fréquenter quotidiennement s’est développée une complicité et ces préjugés liés à nos identités respectives furent rapidement relégués au second plan voire aux oubliettes.

Mais j’ai aussi compris que j’allais toujours être considérée a priori dans le regard de l’autre comme une étrangère. J’ai donc développé une sensibilité toute particulière à la stigmatisation dont font l’objet ceux qui sortent du lot pour une raison ou une autre que ce soit les noirs, les arabes, les homosexuels ou les marginaux de tous poils… Et de là aussi s’est développée l’idée que ce combat était universel.

Décoloniser nos propres identités

Décoloniser nos propres identités

Je ne peux vous parler d’Eléonore sans vous parler de Facebook parce que c’est précisément grâce à ce réseau social que je l’ai rencontrée. Et ça prouve, une fois de plus, n’en déplaise aux grincheux, que les réseaux sociaux sont souvent à l’origine de belles rencontres. C’est en 2014, en pleine offensive israélienne sur Gaza, l’œil rivé sur l’espoir que représente la minorité d’activistes de la gauche israélienne, que j’ai découvert Eléonore. Depuis lors, charmée par son franc parler, son humour et ses identités (et talents) multiples, je suis ses « aventures » et celles d’Eitan Bronstein Aparicio , son mari : de Zochrot[1], l’association fondée par Eitan jusqu’à leur nouveau bébé, De-Colonizer[2]. En décembre dernier, alors qu’ils étaient en tournée en France pour présenter leur travail m’est venue l’envie de partager cette découverte avec le plus grand nombre. Il fallait les faire venir à Bruxelles. On y est presque ! Ils viennent en novembre à l’UPJB et je vous invite à ne pas manquer cette rencontre ! En attendant, je vous propose de faire plus ample connaissance avec Eléonore grâce aux extraits de l’entretien qu’elle m’a accordé en juin dernier à Tel-Aviv.

« Ce conflit c’est mon histoire »

Française et anthropologue, Eléonore a dédié une grande partie de sa carrière universitaire à l’étude de la société israélienne contemporaine dont sa thèse réalisée sur la minorité Tcherkesses d’Israël[3]. Fille d’une mère juive et d’un père musulman, ses activités de chercheuse-activiste témoignent d’un attachement à ses identités plurielles : « Chez moi à table le conflit était toujours là, ce conflit c’est mon histoire… Aucun de mes parents n’a renié son identité, mon père continue à fêter l’Aïd. Du côté de ma mère, on ne faisait pas shabbat ou les autres fêtes juives mais on allait aux bar-mitsvots de nos cousins. On n’a jamais été complètement coupés de ces identités culturelles. »

Résidant en Israël depuis maintenant quatre ans, Eléonore n’a pas fait son « alyah »[4] pour autant: « Moi, je n’ai jamais eu de projet d’alyah, je suis venue m’installer ici uniquement parce qu’Eitan est Israélien et qu’il était hors de question pour lui de vivre loin de ses enfants (…) Je ne fais pas mon alyah parce que je considère qu’il est injuste que l’on m’octroie des droits simplement parce que ma mère est juive alors que je suis née en France. Je trouve que c’est une situation d’injustice folle de me donner des droits à moi et pas à des gens qui sont nés ici parce qu’ils sont palestiniens ou parce qu’ils ne sont pas juifs de façon générale. Je suis ici en tant que résidente, je suis mariée à un israélien mais je ne suis pas israélienne. Pour moi ça fait sens de ne pas utiliser des droits qu’on me donnerait. C’est un geste politique. »

Sa vision idéale d’Israël-Palestine : « Un état binational pour tous ses citoyens avec une égalité de droits réelle pour tous, quelle que soit l’origine, la religion, l’ethnie, l’orientation de genre. L’espace géographique idéal dans lequel j’aimerais habiter c’est un endroit où le droit du retour aux réfugiés palestiniens serait un pilier principal. Je pense que l’injustice majeure, c’est que la Nakbah de 1948 est un « growing process », quelque chose qui continue jusqu’à maintenant sous toutes sortes de formes. Une de ses formes les plus extrêmes, c’est l’expulsion de 750.000 Palestiniens qui ne sont encore, jusqu’à aujourd’hui, pas autorisés à revenir sur leur terre d’origine. Et moi, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde ici. C’est une question de volonté politique. J‘ai hâte de voir le retour des réfugiés et de fêter ça avec eux ici. »

« Décoloniser nos propres identités »

Eléonore (et Eitan) travaille à la décolonisation de leur propre identité : « Décoloniser une identité sioniste ici c’est aussi apprendre à produire un discours éducatif pour des enfants qui est, parfois, à l’extrême opposé de ce qu’ils apprennent à l’école. C’est une lutte du quotidien de décoloniser nos propres identités… On cherche à décoloniser notre vie ici pour pouvoir penser, dans le futur, à une autre forme de vie. Pour accepter le droit au retour des réfugiés (et une égalité réelle), il faut renoncer à ses privilèges en tant que juif israélien, ça veut dire que tu renonces aussi à cette suprématie d’être sioniste et donc d’être protégé par un gouvernement sioniste. Nous on milite pour montrer qu’il y a d’autres façons d’être juif et d’autres façons d’être israélien en dehors du sionisme »

« On ne naît pas tous activistes »

La prise de conscience politique d’Eitan est emblématique à cet égard, lui qui a grandi dans un kibboutz. Elle donne de l’espoir et du sens au combat mené par ce couple qui déploie une énergie considérable au développement d’outils pédagogiques visant à déconstruire les mythes de l’identité israélienne. Eitan est aussi le fondateur de Zochrot[5], une association qui s’est donné pour objectif de sensibiliser le public israélien à la « Nakbah », la catastrophe vécue en 1948 par les Palestiniens au moment de la création de l’état d’Israël. Quand Eitan a créé Zochrot, le mot Nakba n’existait pas en hébreu, il n’y avait rien là-dessus. Quinze ans après, tout le monde sait plus ou moins ce que ça veut dire: « L’histoire d’Eitan me donne de l’espoir, on ne naît pas tous activistes, ce sont des parcours de vie, ça veut dire qu’on peut changer. La plupart des militants sont des gens qui ont été élevés dans des milieux sionistes plutôt à gauche et qui ne voyaient pas vraiment de contradictions entre être sioniste et être à gauche. C’est venu après en fait ces dilemmes. Parce qu’il y a tout une partie du sionisme qui a des valeurs socialistes, d’égalité. Ce n’est pas un vain mot pour beaucoup de gens. »

Pour atteindre leur objectif – sortir du narratif officiel en mettant la question des réfugiés palestiniens au cœur de la société israélienne – ils ont réalisé une cartographie méticuleuse de la Nakba (Nakba map[6]). Cette carte rédigée en hébreu permet de localiser pas moins de 600 villages palestiniens disparus depuis 1948. Un autre exemple de leur travail est à visionner sur you tube[7]. Il s’agit d’un documentaire de type « micro-trottoir » dans lequel ils montrent l’ignorance ou le déni de l’histoire et du vécu palestinien chez les juifs israéliens en posant une question simple : « à votre avis, c’est quoi la Nakbah ?».

« En 2015, je sais ce qui se fait au nom du sionisme et ça me suffit pour savoir que ça ne me représente pas »

Eléonore se définit comme juive antisioniste: « Etre juive antisioniste, c’est une partie de mon identité. Le sionisme est une théorie politique. Bien qu’il y ait un spectre de positions de la gauche à la droite voire à l’extrême droite, pour moi le sionisme est une forme de racisme. En tant que juive, je ne pense pas que l’on appartient à un quelconque peuple élu. Le judaïsme dans lequel on m’a élevé est justement un judaïsme d’ouverture aux autres où on m’a appris à mesurer les qualités des gens quelles que soient leurs religions, la couleur de leur peau ou leur orientation sexuelle. »

Elle se garde de bien de poser des jugements moraux décontextualisés: « après si je ne suis pas sioniste en 2015, peut-être qu’en 1947-48 après la guerre, si j’avais été une jeune juive survivante, peut-être que j’aurais été sioniste, je serais venue me battre pour un état juif. Je ne sais pas, je ne peux pas juger de ça. Par contre en 2015, je sais ce qui se fait au nom du sionisme et ça me suffit pour savoir que ça ne me représente pas. »

Mais sa position ne l’empêche pas d’être consciente de ce qui se fait aujourd’hui au nom de l’antisionisme et d’accorder de l’importance dans son travail à expliciter la différence entre antisémitisme et antisionisme: « éduquer à la différence entre antisémitisme et antisionisme, c’est pour moi un enjeu politique, rhétorique et humain très fort parce que quand toutes les critiques d’Israël sont cataloguées comme antisémites, ça musèle les gens. Pour moi Dieudonné est un ennemi de la cause palestinienne, il peut se draper des vêtements de l’antisionisme mais nous, on n’est pas dupes. Après, je sais pour avoir enseigné pendant dix ans au collège l’attraction qu’il peut y avoir pour Dieudonné notamment dans les quartiers populaires… »

On l’aura compris, l’activisme d’Eléonore (et d’Eitan) ne leur attire pas que des sympathies. Leur discours dérange et il leur arrive parfois de recevoir des menaces de mort[8].

Mais Eléonore est bien loin de la juive honteuse (self-hating jew), une étiquette que d’aucuns auraient envie de lui coller, elle qui a passé une partie de sa vie à explorer les méandres de son identité juive: « Moi, je ne suis pas du tout ce qu’on appelle une self-hating jew. J’aime bien ma judéité ! C’est justement aussi mon identité de juive – je suis issue d’une famille de résistants, une famille qui a été déportée – qui me donne la force de lutter contre les injustices et les inégalités. Parce que quand on a nous-mêmes subi des discriminations, du racisme ordinaire, je trouve que c’est un devoir moral de se battre contre les injustices et l’injustice première qui est faite ici, c’est celle qui est faite au peuple palestinien. ».

Octobre 2015

[1] Plus d’informations sur le site web de Zochrot : http://www.zochrot.org/en
[2] Plus d’informations sur le site web de De-Colonizer : http://www.de-colonizer.org/
[3] 
Eleonore Merza, « Les Tcherkesses d’Israël : des « Arabes pas arabes » », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 23 | 2012, mis en ligne le 20 janvier 2013. URL : http:// bcrfj.revues.org/6850
[4] Alyah en hébreu signifie littéralement « ascension », montée vers Israël
[5] Zochrot, qui signifie se souvenir en hébreu
[6] Voir la carte détaillée sur le site de De-Colonizer: http://www.de-colonizer.org/#!carte-de-la-nakba/c1yhw
[7] A voir sur You Tube « Mais alors, la Nakba c’est…? »: https://youtu.be/QpMiSt9CPjw
[8] Le courrier de l’Atlas, « Deux militants juifs antisionistes menacés de mort », 1/06/15
http://www.lecourrierdelatlas.com/945901062015Deux-militants-juifs-antisionistes-